99 problems | feat Yue

Un silence inquiétant règne au sein du sanatorium. Lampe de poche dans une main, arbalète dans l'autre, Roxane avance avec prudence en ce lieu chargé d'horreur et de folie. La réputation du sanatorium n'est plus à faire, ni même à prouver. Humains comme démons, tous s'accordent sur une chose : cet endroit est maudit, hanté. Personne n'ose venir et maintenant, la chasseuse comprend pourquoi. Pourtant de nature courageuse, ce soir, elle sent la peur suinter à travers les pores de sa peau et son cœur palpite avec force contre sa cage thoracique sans raison apparente.

Roxane s'engage dans un long et large couloir du rez-de-chaussé. D'un côté, en guise de mur, se trouve des portes-fenêtres. Autrefois, la vue donnait probablement sur un jardin magnifique et bien entretenu mais ce soir, Roxane n'y voit que des ténèbres. L'autre mur est composé d'un petit muret arrivant à la taille de Roxane et le reste s'avère être d'immenses vitres transparentes. La franco-galloise se sent exposée, vulnérable, alors elle presse le pas et pénètre dans un gigantesque réfectoire. Le faisceau de sa lampe lui permet de voir de nombreuses tables cassées, taguées ou bien encore renversées. Par endroit trône des chaises roulantes en piteux états. Les murs en décrépitudes donnent l'impression qu'ils vont s'effriter. La blonde continue d'avancer avec prudence, à l'affût du moindre son ou du moindre mouvement. Le parquet grince sous son poids, indiquant à n'importe qui sa position.

A la périphérie de sa vue, elle remarque une présence. Dans un mouvement aussi fluide que rapide, la blonde se tourne, lampe de poche brandit droit devant elle. Quelque chose prend aussitôt la fuite. La chose, peu importe ce que c'est, est d'une rapidité déconcertante. Elle entend un bruit semblable à celui d'un rat qui court. Le petit "tac tac tac" singulier qu'ils font quand ils prennent la tangente avec leurs petits culs dodus se dandinant de gauche à droite. Si l'image lui venant en tête est mignonne, la réalité l'est moins. Il n'y a aucun rat au sanatorium. C'est la chose qui émet un tel son.

Puis à nouveau le silence.

Une douleur vive et atroce lui arrache un hurlement terrible et la seconde d'après, elle s'écroule sur le sol, ses mains heurtant violemment le parquet pour ne pas totalement se vautrer. Elle est incapable de bouger sa jambe gauche car une immense patte, fine et acérée, vient de lui transpercer la cuisse de part en part. En se retournant sur le dos, elle voit alors une créature immonde, noire aux yeux jaunes et à la forme d'un scarabée. Ses mandibulaires proéminentes s'agitent, prêtent à découper Roxane en morceau.

— Holy shit!

La chasseuse frémit de dégoût devant une telle créature mais ne perd pas de temps pour autant. Elle prend une bonne poignée de sable ou de poussière de plâtre, peu lui importe, et elle balance le tout dans la face de la chose. Pendant que cette dernière émet un son strident, visiblement pas contente, Roxane se traîne droit devant elle afin de mettre la main sur l'arbalète qu'elle avait malencontreusement lâchée. Elle s'en empare juste au moment où la patte affutée du démon lui transperce le mollet pour la tirer vers elle. Une nouvelle fois, la franco-galloise pousse un hurlement de tout les diables sous le coup de la douleur mais ses doigts restent fermement ancrés sur son arme. Elle s'aide de ses bras pour se retourner sur le dos et vise la créature entre les deux yeux. Le carreau de la flèche fend l'air et l'instant d'après, la chose s'écroule sur le dos en un dernier son strident.

— In your face, bitch!

Elle grogne, elle peste, elle se retient de chialer comme un bébé. Tremblante, Roxane fouille dans les poches de sa veste en cuir et extirpe son cellulaire. Elle se sent partir, ce n'est qu'une question de seconde avant de perdre connaissance. Le sang perdu mais surtout, la douleur, est terrible. Le plus vite que ses doigts lui permettent, elle envoie un sms à Yue, lui donnant son emplacement exact. Elle n'a jamais eu autant besoin de lui que maintenant.

Roxane perd en température à mesure que les minutes s'écoulent mais son corps n'a plus vraiment l'énergie nécessaire pour trembler. Si elle n'était pas autant à l'ouest, elle réaliserait combien c'est inquiétant mais elle est occupée à tout autre chose. Son regard braqué vers le plafond en décrépitude, elle lutte pour ne pas fermer les yeux. Elle ne doit sous aucun prétexte s'endormir sous peine de ne jamais se réveiller. Elle en rigolerait presque. Mise K.O par un démon insecte? Elle avait espéré une mort plus glorieuse comme une fin du monde, une apocalypse géante. Un truc mémorable, quoi! La blonde entend des bruits indistinct alors elle tente de se redresser sur son séant pour au moins récupérer la lame dans sa botte mais n'y parvient pas. L'humaine réalise seulement maintenant qu'un poison doit circuler dans ses veines pour se sentir aussi mal et aussi faible en si peu de temps. Elle a perdu du sang, ça l'a forcément affaiblie, mais à ce point? Non. Quelque chose d'autre la ronge de l'intérieur.

Elle aperçoit vaguement une silhouette s'approcher d'elle et ne réalise qu'à cet instant que sa vision est floue. Rapidement, une drôle de sensation la parcourt. Certaines blessures la picotent alors que son corps commence lentement à se réchauffer... ce qui n'a rien d'agréable. Elle reprend ses esprits tandis que la douleur s'intensifie jusqu'à devenir insoutenable. Son corps s'arc sous cet affliction et la chasseuse ancre profondément ses doigts sur le sol, ses ongles raclant à mesure que l'envie d'hurler devient incontrôlable. Toutefois elle lutte, elle n'a pas le choix car un hurlement peu si vite attirer l'ennemi... Roxane n'est jamais passée sous un mixeur mais elle a comme l'impression que la sensation est similaire. Être en capacité de guérir les gens est un don en soi, un pouvoir des plus précieux et forcément... il est servi avec une contrepartie. Sûrement car il est contre nature de guérir aussi vite.

Roxane perçoit la lueur dorée qui émane des mains du nippon. Une couleur qu'elle a toujours trouvé apaisante, surtout quand ses soins s'approchent de la fin. La douleur, comme une vague, déferle sur sa carcasse de chair et repart... mais la chasseuse sait pertinemment que cette vague reviendra bien assez tôt. Le corps en sueur et le cœur en déroute, elle peine à se remettre de ses émotions bien que sa carcasse de chair semble réparer. En partie en tout cas. Elle a comme une étrange sensation.  

— On doit déguerpir d'ici au plus vite.

Pas de merci. Pas de bonsoir. Rien. L'instinct de Roxane s'éveille... quelque chose rôde encore en ces lieux. La blonde se redresse mais probablement trop vite car elle titube un peu. L'espace d'un instant elle est prise de vertige alors elle s'appuie sur Yue. Sa carcasse de chair est froide. Sourcils froncés, elle avise le cadavre de la bestiole.

— Yue... je crois que cette foutue chose m'a empoisonné en me harponnant avec ses griffes à la con.

Autant le prévenir tout de suite, des fois qu'il ai besoin de prélever un peu de sang, de salive ou autre fluide dégueulasse permettant de confectionner un quelconque anti-poison. L'avantages de chasser depuis aussi longtemps? Connaître son corps et savoir quand un truc cloche.

Puis soudainement, un vinyle auquel elle n'avait jusque là pas prêté attention se met en route, diffusant une musique des années 70. Roxane sait ce lieu hanté mais elle espérait ne pas en avoir la certitude. La blonde récupère sa lampe poche et balaie l'endroit à l'aide de son faisceau lumineux. Il n'y a aucun tourne disque dans le réfectoire.

— C'est quoi ce bordel... qu'elle murmure à Yue.

Roxane est pourtant persuadée que la musique vient du réfectoire. Ils ne sont pas seuls.