I want your money - feat CORALINE

La bonne humeur transparaissait à sa manière de siffler. Il y'avait des journées comme ça où on avait l'impression que le monde s'offrait à nous. Pour Elkan, c'était plus ou moins le cas. Sa montre lui indiquait qu'il n'était pas encore sept heure lorsqu'il arriva à l'agence. Même pas sept heure du matin et il avait déjà signé un contrat bien juteux autour d'un déjeuner d'affaires. L'argent, véritable moteur de bonheur, allait rentrer dans les caisses! Notre sorcier avait le sourire jusqu'aux oreilles et lui, d'ordinaire si radin, avait prit la peine d'acheter des cafés pour absolument toute l'agence. Sauf qu'à son arrivée il ne vit absolument personne. Ni Basile, ni les jumeaux ou bien encore Anya. Il ne s'en formalisa pas, il était encore tôt et il s'imaginait bien les jumeaux ronfler quelque part dans l'hôtel. Le nécromancien laissa les cafés à l'accueil et se rendit à son bureau.

- Come on over, come on over, baby, qu'il chantonnait.

Le plaisir coupable des jumeaux était Britney Spears mais Elkan était team Christina Aiguilera. Bien évidemment, il n'en avouera rien.

- Come on over, come on over, baby.

Il était sur son petit nuage en s'installant sur le fauteuil de son bureau. Il déchanta aussitôt. Ses fesses bien ancrées sur le siège, il sentit immédiatement une drôle de sensation. Un truc gluant. De la colle! Sa bonne humeur s'envola aussitôt et son visage prit une teinte rouge de colère.

- JUDICAËL! ROXAAAANE!!!!

Il entendit un éclat de rire. Pire que ça, c'était un fou rire incontrôlable et ça le mettait d'avantages en rogne. Une petite tête blonde apparut à travers la porte, Roxane.

- Coucou Elkaninos. Tout va comme tu veux?

Elle essayait de garder une bouille innocente mais peine perdue, elle partait dans une franche rigolade impossible à contenir. Le nécromancien tapa du poing.

- Oh toi je vais...
- M'attraper? Come on over baby, come on over.

Comme pour le narguer, elle entra dans le bureau et présenta son popotin qu'elle agitait dans tout les sens. Le sorcier essaya de quitter son siège mais il y était littéralement collé.

- Cherche pas, c'est de la bave de Sloghpsf. Sa bave se transforme en super glue après un moment à l'air libre.

La chasseuse lui fit un clin d’œil et s'en alla pour de bon. Savannah l'attendait pour une mission repérage.

- ROXANE! ROXANE, SALE PETITE PESTE! REVIENS ICI!!!

Elle ne revint jamais.

Dans sa chambre, elle faisait les cent pas, partagée entre la colère et une profonde nervosité. Depuis des mois elle travaillait à l’agence, et elle avait été si reconnaissante d’avoir un travail, un but, des personnes avec qui parler que jamais elle ne s’était souciée d’un fait important: elle n’était pas payée. Pas un seul centime. Si elle ne s’en était pas souciée c’est qu’elle n’avait pas eu particulièrement l’occasion de faire les magasins. Etant morte, ce genre d’opportunité s’était plutôt raréfiée. Mais lorsqu’elle avait réalisé que depuis tout ce temps elle travaillait sans aucune rétribution, elle avait vu rouge et s’était sentie particulièrement stupide. La pigeonne qui se faisait avoir, et avec le sourire en plus de ça.

Mais si elle voulait demander son salaire, il fallait qu’elle se calme, qu’elle prenne pleine possession de ses moyens. Ce n’était pas évident, Elkan avait le don de la faire perdre ses moyens sans qu’elle sache trop comment. Hors de question qu’elle se mette à perdre ses mots, ou même s’énerve. Elle termina sa natte par un élastique. Elle avait tiré ses cheveux en arrière, en espérant que ça lui donne un air plus strict.

« Tu es forte, tu peux le faire ! »

Elle se répéta ces quelques paroles d’encouragement à elle-même puis se décida à sortir de sa chambre pour se rendre au bureau d’Elkan. Et pour une fois, elle utilisa ses pieds pour faire le trajet. Alors qu’elle arrivait dans le bon couloir elle aperçut la silhouette blonde de Roxane qui sortait du bureau. Qu’est-ce qu’elle faisait toujours collée à lui d’ailleurs ? Fort heureusement elle était trop nerveuse pour avoir entendu les cris du sorcier, sinon il est probable qu’elle aurait fait demi-tour.

Roxane avait laissé la porte entrouverte, ce qui évita à la fantôme de se demander pendant des lustres si elle devait ou non frapper. Elle prit une profonde inspiration (bien qu’elle n’en ait pas vraiment besoin) et passa la porte du bureau.

« Bonjour Elkan » Elle prit son air le plus sérieux et enchaina directement sans lui laisser le temps d’en placer une. « Reste assis, il faut que je te parle. »

Elle n’avait bien évidemment aucune conscience qui ne pouvait pas lui désobéir. Elle s’assit face à lui, ce qui l’arrangeait en fait. Elle était en général considérée comme grande, mais face à lui elle se sentait plutôt naine. Etre face à lui l’aidait à se sentir sur un pied d’égalité. Elle plaça ses mains face à elle sur le bureau et les entrecroisa.

« Ca fait quelques mois maintenant que je vis et travaille ici. Je vous aide, je remplis des rapports, range des dossiers, fais des recherches, je pars en mission avec vous, des missions qui sont parfois dangereuses d’ailleurs. Je fais même souvent la cuisine ici. »

Elle marqua un temps de pause. A la fois pour l’effet théâtrale mais aussi parce qu’elle voulait prendre un instant pour rassembler son courage et donner l’impression qu’elle savait très exactement ce qu’elle faisait. Fake it until you make it, n’est-ce pas ?
Elle se pencha un peu plus en avant, le regardant droit dans les yeux.

« Elkan, est-ce que tu dirais que je suis ton esclave ? »

Il peste! Il rage intérieurement tout en se dandinant du mieux qu'il peut sur son siège. Il réfléchit à la manière de s'extirper de là. La teigne, elle ne revient pas pour l'aider en plus! La mâchoire et les poings serrés, il fulmine. Puis Coraline entre et là, l'espoir naît sous la plus belle des apparences! Il ouvre la bouche pour demander de l'aide à la fantôme mais celle-ci ne lui laisse pas le temps de parler. Elkan note l'ironie de la situation... Coraline qui lui demande de ne pas bouger. Il soupire mais décide de prendre sur lui. La colère qu'il éprouve ne doit surtout pas se déverser sur la belle et tendre Coraline. Oh que non.

— Je t'écoute.

Il ne peut rien faire d'autre de toute façon. Alors il patiente, ses claires prunelles sondant le petit bout de femme en face de lui. Sa présence a au moins le mérite de l'apaiser un peu, même si la bave de Sloghpsf n'est pas agréable au popotin. C'est que ça commence à le gratter.

A chaque déclaration de Coraline, le nécromancien opine de la tête car effectivement, la fantôme se montre des plus utiles au sein de l'agence. Il apprécie ses petits plats, il adore sa compagnie et elle exécute toujours du très bon travail. Une main d'oeuvre gratuite en plus! Toutefois, il en vient à se demander pourquoi elle lui parle de tout ça. Dans l'immédiat, lui, il aimerait surtout pouvoir décoller son cul du siège.

Encore une fois, il s'apprête à ouvrir la bouche pour demander l'aide de Coraline mais sans le vouloir, elle le coupe dans son élan. Elle se penche un peu plus vers lui et pose une question qui a le don de le surprendre. L'air con, il la fixe un instant sans savoir quoi répondre. Quoi qu'il réponde, cette question est un piège, il le sent jusqu'ici. Petit à petit, les pièces du puzzle commencent à se former et il pense savoir pourquoi elle est ici. Il soupir. C'est une idée qui ne lui est sûrement pas venue toute seule. Sûrement une suggestion de Roxane, de Basile ou bien encore d'Alex.

Il n'est alors plus du tout possible de demander l'aide de la fantôme. Surtout pas! Ce serait pour elle un levier de pression. Il ne compte pas lui donner le moindre os à rogner. Il met de côté les picotements dans ses fesses et tente de s'installer confortablement sur son siège. En tout cas il en donne l'impression en posant son dos contre le dossier, un sourire rassurant sur les lèves.

— Coraline, voyons, tu sais très bien que tu n'es pas mon esclave, ni même celle de l'agence. C'est avec plaisir que nous t'hébergeons ici à titre gratuit et tu as le loisir de nous aider ou non dans l'exercice de nos fonctions.

En terme de stratégie il juge nécessaire de rappeler qu'elle vit ici à titre gratuit. Tout comme elle a le choix de les aider ou non. A aucun moment ils ne l'ont obligés à quoi que ce soit. Tout comme ils ne lui ont jamais rien demandés pour les bons petits plats. Même si, il est vrai, Elkan ne peut à présent plus se passer des petits soins de la fantôme.

— Je me rends compte qu'on a peut-être tendance à trop t'en demander et je m'en excuse. Si jamais il y'a quoi que ce soit que nous puissions faire pour te soulager, n'hésites pas à m'en parler.

Il est prêt à négocier, voyons.

Elkan ne bougea pas pendant son discours, et si elle en croyait l’expression de son visage elle l’avait pris par surprise, ce qui lui donna un semblant de confiance supplémentaire. Néanmoins elle déchanta rapidement à sa réponse. Elle s’était attendue à un refus évidemment. Mais pas à ça. A en croire les paroles du sorcier, elle ne travaillait pour eux que parce qu’elle le voulait et qu’ils étaient assez généreux pour la laisser faire. Comme une enfant à qui on cède un caprice par complaisance. Elle ne s’attendait pas à ce que ça la secoue autant et une boule de colère commençait à se former à l’intérieur d’elle. Elle dut lutter contre l’envie d’attraper le coûteux presse-papier qui se trouvait près d’elle et de le lui jeter à la figure. Celui-ci frémit d’ailleurs légèrement, mais elle se contint et croisa les bras.

« Je suis logée gratuitement, mais comme tout le monde ici. Sauf que ceux qui travaillent sont payés, eux. »

Son ton était devenu glacial. Elle se sentait complètement idiote, le dindon de la farce. Elle avait sincèrement cru que ce qu’elle faisait était apprécié. Elle savait d’ailleurs qu’elle était utile. Malgré ses efforts pour se retenir, sa colère contre Elkan montait, montait.

« Est-ce que c’est parce que je suis une femme ou parce que je suis morte ? Ou peut-être que tu as l’impression que je suis stupide la bonne poire reconnaissante de travailler gratuitement ! »

Sans s’en rendre compte, le ton était monté à sa dernière phrase et le presse-papier partit directement s’éclater contre le mur. En vérité, elle l’avait fait exprès, mais ça bien sûr il ne pouvait pas le savoir. Si elle s’était vraiment laissée aller, elle aurait déjà retourné son bureau. Il avait l’air d’oublier ce qu’elle était, et qu’à présent c’étaient ces murs qu’elle hantait. Elle se recula de nouveau sur le fauteuil.

« Mais bon, j’ai compris, je me suis trompée c’est ma faute, vous n’avez pas vraiment besoin de mon aide. C’est moi qui me suis imposée. » Elle plaça ses mains vers l’avant puis commença à se lever. « Je vais donc vous laisser vous débrouiller. Je n’ai pas besoin de manger de toute façon. »

Sans compter toutes les tâches administratives qu’elle faisait. Dont le nouveau classement des dossiers qu’elle avait mis des semaines à élaborer et auquel personne n’avait pris la peine de s’intéresser. Elle leur souhaitait à tous bien du courage pour retrouver un jour le moindre document.
Alors qu’elle se levait, prête à quitter la pièce en furie, elle remarqua qu’il y avait quelque chose d’étrange chez Elkan dans sa façon de se mouvoir. Ou plutôt de ne pas se mouvoir. Elle s’adressa de nouveau à lui, d’un ton excédé.

« Mais qu’est-ce que t’as ? T’as l’air vraiment bizarre… »