To tame the mystery / feat Cadwal

Les semaines passaient et ne se ressemblaient pas. Tout allait très vite ici et je m'y plaisais bien. J'avais l'impression de faire parti d'un tout, du tout. Un rouage de la grande Vie. Bien sûr, jamais je ne mettrais en doute, ni l'intégrité, ni l'utilité de ma chère confrérie, mais j'avais cette impression tenace et parfois même une voix, émanant de ma conscience, qui me susurrait, tu es à ta place. Possédant ainsi mon espace et mon temps, que je ne contrôlais d'ailleurs toujours pas très bien, celui-là même qui m'avait toujours semblé si harmonique auparavant, était devenu si anarchique aujourd'hui et mon comportement traduisait ce si grand bouleversement. Je ne contrôlais ni les codes, ni les règles de vie qui régissaient les villes et villages, et pourtant, mon cœur, mon enthousiasme traduisait la plénitude absolue dans cette vie si brouillonne, dangereuse et imprévisible.
Bien sûr, on se moquait souvent de moi, de mon « décalage social », mais je prenais le tout avec humour et je savourais chaque seconde aussi désordonnée soit elle ! Mon arrivée restait récente et j'avais déjà vécu les pires situations. À ne pas y louper, je me trouvais bien sur la bouche de l'enfer et je ne comprenais pas bien comment les Lyonnais restaient aveugles de toutes traces surnaturelles... Étaient-ce leurs cerveaux qui éliminaient ces informations-là ? Préservant par là l'hôte ? Mieux valait-il d'oublier que d'affronter ? Je ne trouvais pas la réponse à ces questions, et j'avais encore du mal à imaginer qu'on ne se rendait compte de rien ici...
Bref, les rencontres délicates et malsaines ne manquaient pas et j'avais donc passé la nuit, le nez plongé dans mes bouquins. Un amas de papiers poussiéreux déposés sur une pile de livres indigestes et poussiéreux. Un joyeux bordel dans lequel je nageais en toute simplicité. Je me retrouvais là, dans mon élément, intégrant chaque nouveauté qui s'ouvrait à mon esprit, buvant littéralement le savoir de ces livres et une révélation plus particulièrement...

L'histoire des gargouilles. Depuis quelques jours, je regroupais tant bien que mal des brides d'informations sur des êtres capable de se changer en pierre et je découvris par quelques textes catholiques et mystiques l'existence de ces créatures. Elles étaient si bien cachées de l'histoire, nul part au sein de mes sources, on ne parlait de sa création, mes sœurs sorcières n'avaient pu me donner de réponse alors qu'elles prétendaient détenir un des plus grands savoirs existant de ce monde. Un immense puzzle, où il manquait la moitié des pièces, à reconstituer entièrement afin d’éliminer toutes menaces éventuelles.
L'homme en question était arrivé bien amoché. Il avait défoncé la porte de la boutique magique, ensanglanté, suffoquant ; il essayait tant bien que mal de demander de l'aide puis plus rien. Il s’effondra net devant ma stupeur, la scène fût brève et pourtant elle avait capté tout mes sens, toutes mes émotions. Je ressentais le mal qui s'approchait, une seule chose à faire en pareilles circonstances, réagir. Après tout, je m'étais toujours vu comme une amazone des temps modernes, mais je connaissais mes limites et reconnaissais la dangerosité de ma nouvelle vie. Comme je le pus, je m'empressai de fermer la porte du magasin, éteignis les lumières rapidement pour enfin rejoindre le corps étendu derrière, dans l'espoir de l'emmener dans une arrière-salle, en sécurité. Mon regard s'arrêta donc sur l'inconnu, et je ne compris pas tout de suite ce que je vis là, à la place de cet homme. Je me frottais les yeux, légèrement douteuse, j'avais stoppé mes gestes et je restais comme figée devant cette vision. Il n'était plus de chair, il n’émettait plus l'énergie d'une âme humaine. À la fois intriguée et paniquée par la menace qui devait toujours plus s'approcher de nous, j'essayais donc de traîner le corps, mais celui-ci pesait bien évidemment son poids puisqu'il était dorénavant fait de pierre. Le cerveau en ébullition, je me saisis d'une nappe la glissait sous la masse, la roulant légèrement par moment puis par mouvements saccadés, je réussis à me dépatouiller de cette situation irréelle.
Il me fallut quelques minutes pour reprendre mon souffle, mais mes yeux ne quittaient pas cette étrangeté. Cette image, je la trouvais belle, poétique, mais la raison m'incita à l'inquiétude. Je vérifiais chaque forme de cette sculpture, elle était si bien modelée, elle semblait si réelle, et elle l'était il y a à peine quelques instants !

La nuit était calme et belle et ce soir était une autre histoire. Je savais ce qu'il était, je connaissais sa mission, la nature même de leur existence. Malgré de nombreux points encore flous, j'avais saisi le principal. Il était là pour défendre le bien, son existence même se dévouait à la cause.
Oui, j'étais émue par cette pensée, par cette découverte et pourtant inquiète de cette rencontre. Il me semblait avoir lu qu'une gargouille ne se présentait qu'en cas d’extrême urgence et ma vision de la vie aujourd'hui commença ainsi à s’atténuer, me rapprochant un peu plus de la réalité. Le mal avait toujours existé, dans ma propre théorie, mais à présent, il devenait obsessionnel, oppressant, envahissant. En ces rues, on le croisait partout, parfois violent, cruel, sournois, manipulateur, visible parfois même invisible, il empiétait sur beaucoup de plans différents et je me sentis toute petite d'un seul coup. Je vivais une véritable prise de conscience de la gravité de la réalité et je me consolais en prenant soin de ma statue, lui apportant patience, présence et amour.

La vie ne cessait de me surprendre. Je la laissais me prendre par la main, virevoltant dans le temps comme une ballerine, tournoyant lyriquement sur scène. Je lâchais prise, entière, portant mon cœur droit devant moi afin d'émaner de l'amour le plus absolu possible et ainsi être efficace pour ma protection et celle des autres...
Ce soir, j'étais toujours en compagnie de ma statue humaine, alors que je patientais toujours, plongée dans les méandres du grand Savoir, il m'avait semblé l'entendre bouger. Une intuition, que dans mon dos, on pouvait dorénavant m'observer. Instinctivement, je me retournais, observant cette nouvelle aberration une fois encore. J'avais beau m'être renseignée, le spectacle qui s'offrait à nouveau devant ma personne m'émerveillait tellement que je ne pouvais pas ne pas rester marquée par cette expérience presque unique. C'était si improbable, si loin de la réalité, presque de l'ordre du fantasme. Je n'arrivais pas à l'expliquer, mais c'était simplement beau à voir, comme si toute cette beauté pouvait nous pénétrer... La transmutation de la matière, du minéral vers la chair, était si parfaite que j'en étais subjuguée. Ma bouche tombait, traduisant l'étonnement et la stupéfaction renvoyait le scintillement de mes rétines. Puis il se mit à parler, aussi simplement qu'un passant dans la rue qui me demanderait son chemin dans l'empressement de sa petite vie.

Paradoxalement, son visage marqué quelques heures auparavant, était comme neuf. Il émanait de la puissance physique, même si je pouvais lire la détresse et l'inquiétude dans son regard expressif. Bêtement, je le dévisageais, j’auscultais le moindre contour de ses expressions, de ses traits de visage, laissant couler ma vision sur son corps dorénavant en mouvement. Sans y réfléchir, je m'approchais de lui, laissant mes mains parcourir à leur tour les moindres lignes de son visage avec une délicatesse extrême. Je fixais ses yeux, émerveillée, légèrement intrusive mais respectueuse, aimante et bienveillante.
Le gazouillis des oiseaux vint troubler le silence chargé de tendresse originale de découverte et c'est là que je repris quelque peu mes esprits pour redevenir une personne plus terre-à-terre.

Excuse moi.

Je me retirais, reculant de quelques pas afin de libérer l'espace nécessaire emprise à une certaine politesse. Quelques secondes passèrent encore accompagner des bruit de la nature se réveillant au rythme du soleil et je continuais mes explications qu'il avait l'air impatient de connaître.

Alors tu étais endormi... Oui, non, enfin, je veux dire cela fait quelques heures maintenant, presque deux jours.
Excuse moi, je suis troublée, étais-tu seulement conscient de ta condition lorsque tu étais « endormi » comme tu le dis ?

Je ne parvenais pas à déceler ses intentions, il était si mystérieux et charismatique à la fois que je ne pouvais m'empêcher de me sentir faible et vulnérable. Les sensations étaient sûrement dues à une forme d'admiration de ma part, sachant par là, le but même de son existence.
À présent, je souhaitais aussi des réponses à mes questions et par-dessus tout, trouver l'espoir de travailler un jour ensemble pour la grande cause justement. Dans cette optique, je m'empressais de retrouver une certaine confiance afin d'exprimer mes ressentis envers cet être magnifiquement mystique.

En tout cas, ne crains rien, moi, c'est Rose. J'ai essayé de te mettre à l’abri ici et si nos routes se sont croisées, c'est pour une raison, je ne crois pas au hasard.
Je suis là pour t'aider, j'en suis certaine, d'ailleurs vu l'état dans lequel tu m'as trouvé, je suis sûre qu'il y a une raison à cela ! Peut-être pourrais-je t'aider si tu me racontais...

Telle une gamine s'asseyant sur le tapis en face du conteur improvisé, j'ouvrais mon esprit dans l'espoir de le remplir d'une histoire fabuleuse, emplie de rebondissements ; prête à vibrer à chaque mot prononcé de sa voix grave et suave...

Comme à mon habitude, je me suis sentie jugée. Depuis mon arrivée, ces regards-là formaient mon quotidien. Apparemment, j'avais encore une fois dérapé. Je devais être une fois encore à côté des règles de quelconque politesse qui me semblait toujours aussi absurde. Je vivais l'émotion, le moment présent et mes gestes, même s'ils se montraient délicats, traduisaient ma grande détresse à comprendre le langage du corps entre humain sûrement si abîmés qu'ils n'écoutaient plus leur intuition, l'essence de leur âme. Je ne parvenais pas à imprimer l'information et pourtant elle me suivait à la trace, à chacune de mes rencontres mon comportement semblait étrange et déroutant. Certains explosaient de rire, c'était sûrement ce qui me plaisait le plus, d'autres échangeaient un regard interrogateur sans oser me faire face tandis que la majorité m'exprimait leur léger choc soudain que j'avais soit disant provoqué par une posture ou une phrase tout droit sorti de mon cœur. La vérité était finalement le véritable problème. Ce monde me semblait tourner sans la moindre spontanéité. Hélas, j'étais l'exact opposé et il fallait que je jauge la balance à chaque instant.
Épuisant.

Il n'avait pas suffi que mon attitude l'ait déjà dérangé, j'en rajoutais malgré moi. Je ne pus m'empêcher de l’inonder d'un flot de paroles alors que la pauvre créature immergeait seulement de son sommeil mystique.
La traduction de son expression me faisait horreur, je ressentis la honte s'abattre sur mon dos que je courbais à présent, ainsi que mes yeux qui regardaient le sol tout en sentant la chaleur monter sur mes joues. Bougeant légèrement mes pieds en guise de stress, je décidai de me relever, histoire de me donner une petite constance.

Oh, je suis désolée, je ne voulais pas...

Il me rendit la pareille et déchargea son flux de question à son tour, le regard terne, toujours aussi mystérieux.
Il avait l'air d'un homme hors du temps, je me sentais comme plongée dans un doux rêve et mon esprit relayait cette information à mon corps entier pour me faire ressentir les joies d'une petite fille émerveillée.
Alors, d'un ton très doux et calme, je fis un pas en sa direction avant de lui répondre assurément, sincèrement.

Alors, comme je te le disais, moi, c'est Rose, sinon, je travaille ici, mais en réalité, on m'a envoyé dans cette ville pour lutter contre les forces du mal. Je suis une sorcière, héritière de la confrérie d'Angleterre.

Je me sentais libre de pouvoir dévoiler une vérité qui restait là encore trop cachée au plus grand nombre. Peut-être n'allait-il pas apprécier, je n'en savais rien, mais je misais sur une certaine confiance que je désirais prochainement installer entre nous, et pour cela, il me semblait faire au mieux en lui dévoilant totalement mes intentions.

Et oui, effectivement, pendant ton sommeil, j'ai entrepris des recherches sur ce que j'avais vu, ta première transformation soudaine devant mes yeux ! Sache que je ne te veux aucun mal, je pense même que l'on pourrait s'entraider dans nos objectifs communs, car j'ai cru comprendre que tu étais en réalité une gargouille, fidèle créature, grand défenseur du bien à ce que j'ai cru comprendre...

Je repris place sur mon tabouret et l'invitai, en un geste de la main, à me rejoindre sur l'autre assise qui se tenait à côté de moi. J'aurais souhaité en dire d'avantage, essayer de le convaincre avant que cet homme à l'allure sauvage décide de s'en aller comme il était apparu plus tôt... Non, Rose, il fallait te contrôler, ne pas risquer de choquer encore sans en comprendre le pourquoi. Je patientais donc là, observatrice de sa prochaine première attitude...