Camelia † Le lion ne s'associe (toujours) pas avec le cafard

Tu sais ma chérie ... il faut quand même qu'on en parle ... je sais pas comment commencer. J't'ai jamais parlé d'tout ça, ni de ton père. Et j'en suis tellement navrée. Tu m'posais tellement d'questions sur lui, que j't'ai envoyé boulet plusieurs fois. J'étais juste pas prête à parler d'lui. J'l'ai jamais été. Te parler d'lui aujourd'hui ... c'est peut être nécessaire, parce qu'il faut commencer à avancer et j'ai peur d'vous oublier tu sais. J'vous aime tellement. Même si toi, plus que tout au monde. Je vis comme une âme en peine Gaby. Sans toi ... c'est plus pareil. Nos rires aux larmes, nos moments d'complicité, nos disputes, nos hurlements, nos entraînements, nos soirées devant la télé ... mais tu sais ce qui me manque ? C'est ton sourire. Tes lèvres qui s'étendent, formant des croissant de lune à tes yeux, montrant tes pommettes que tu détestes. C'est de m'arracher les cheveux à t'faire des coupes, parce que tu voulais que je te plaques les cheveux pour que je les enlèves parce que ça te fais souffrir, pour ensuite les remettre. C'est quand t'es tête en l'air et que tu te tapes la paume de la main sur ton front en râlant. C'est de te voir sauter sur les pots de Nutella comme une affamée, une enfant, pour manger ça avec une cuillère. Ton rire me manque. Ta voix me manque. J'ai quelques souvenirs de toi sur des cassettes, mais c'est pas suffisant. C'est pas suffisant ...

Alors ... voila comment ma vie a commencé. Quand j'ai accouché de toi. Quand t'es sortie de mon ventre. Quand je t'ai prise dans mes bras. Quand j'ai pleuré de joie, alors que tu hurlais à plein poumon ... à la vie qui s'offrait à toi. Vie qui t'a enlevée à moi.

Ma vie commence lorsque j'étais dans cette chambre, dans un hôpital de Bretagne. Couchée, je regardais mon enfant faire des gazouillis. Elle était adorable. Mon ange. Ma Gabrielle. Oui, c'est toi que j'parle. Ma Gaby. Ton regard bleu, un poil vitreux par la fatigue, tentait de m'observer, de me regarder. J'ai posé mes lèvres sur ton front, promettant aux dieux de te protéger, mais aussi, leur remerciant de ce miracle. Et ça m'tue parce que j't'ai pas assez protégé ... pas assez. J'avais 18 ans, comme ton père, quand j'ai accouché. Aujourd'hui, on m'aurait dit "tain' tu gâches ta vie avec un mioche ... esch". Mais j'ai jamais gâché ma vie. Jamais. Ton papa était Observateur, comme moi. Mais à l'inverse de moi, il était beaucoup plus posé, beaucoup plus calme. Il était mon Yin, j'étais son Yang. Et toi, notre enfant, tu n'étais que le résultat d'un amour sincère et beau.

Et bien entendu, deux jeunes Observateurs qui ... bon t'es plus une gamine hein, enfin tu vois ce que je veux dire quoi ! On t'a pas fait dans des fleurs ! Bref, le fait qu'on t'avait, ça a fait mauvais genre dans cette communauté. C'est pour ça qu'on a décidé de fuir. Pour te protéger Gabrielle, pour ne pas que tu sois loin de nous. Nous nous sommes alors mariés dans une chapelle en secret et nous t'avons baptisé. Tout était parfait, nous allions vivre tous les trois, ensemble, sans que plus personne ne nous atteigne. Nous sommes donc partis tous les trois pour le Sud Est de la France, à Bordeaux, pour nous y installer. Nous comptions vivre toute notre vie. La bonne blague. Nous étions des gamins. Des gamins insouciants. Et j'ai appris à être adulte un peu trop vite, même si je n'ai aucuns regrets à ce jour ... à part de vivre.

Perdre son mari, n'est jamais chose aisée. Surtout quand on l'aime. Malgré les hauts et les bas. Même si nous n'avions jamais connu de passion époustouflantes, nous étions sincères et nous nous aimions. J'aimais profondément Raphaël, ton papa - embrasses le pour moi d'ailleurs. Il était mon meilleur ami, mon ami, mon amant, mon amour de jeunesse, le père de ma fille. Il était mon tout. Nous avions beaucoup de respect pour l'autre. Perdre son mari, n'est jamais une chose aisée. Comme on dit, ça s'saurait n'est-ce pas ? J'aurais aimé que ce soit un gros con. Un enfoiré. Un intolérant. Le coup classique du parfait connard qui te largue pour baiser une autre nana. Pardon. J'suis vulgaire. T'aimes pas ça quand je le suis ... bref. Il avait 18 ans quand il est devenu papa. Il avait 23 ans quand il est mort.

En théorie, il est mort à "cause de toi". Alors attention, prends ça avec des pincettes ma chérie. Si t'avais pas été une Potentielle, on aurait dû vivre heureux tous les trois sur Bordeaux. Mais le Destin a foutu sa merde et te voila une Potentielle. Je t'en jamais voulu Gaby, saches le. JAMAIS ! Je m'en veux de pas t'avoir assez protégé.

On a été attaqué par des vampires, c'était dans une ruelle ... T'avais 5 ans, tu hurlais. Tu avais peur. Tu pleurais, c'était horrible. J't'ai porté et j'ai couru. Ton père voulait qu'on fuit. Il s'est interposé. J'ai été stupide. J'aurais dû te donner à lui pour me battre. J'ai couru pieds nus, j'ai abandonné mes talons pour courir avec toi dans mes bras, pour m'éloigner de ces vampires qui ont commencé par nous pourchasser. J't'ai tenu, j'étais occupée à te sauver et te protéger. On a eu d'la chance. De la chance que des groupes d'humains étaient dans les parages et que j'ai pu m'fondre dans la rue Sainte Catherine à 23 heures du soir. Foutu 14 juillet ... c'était l’effervescence d'alcooliques qui nous a sauvé.

Gaby ... j'sais pas si tu t'souviens. T'avais peut être 5 ans, mais t'étais pas stupide. T'étais déjà bien éveillée. Tu te souviens quand tu m'as demandé pour les marques sur mon bras ? C'était ton père. Il avait été changé en vampire. Il supportait pas cette condition. Il était complètement fou. Il m'a demandé d'le tuer, moi j'étais prête à l'aider, mais il voulait mourir. Il m'a attaqué pour que j'lui plante un pieu dans l'coeur ... pour qu'il se change en poussière ... Oui Gaby' ... voila pourquoi on a enterré un cercueil vide. J'ai dû retenir mes larmes. J'ai jamais senti mon coeur se déchirer autant. C'était horrible.

J't'ai entraîné. Je voulais qu'tu sois forte. On bougeait souvent, j'voulais te donner une bonne éducation. On a eu de bonnes aides. J'suis retournée avec toi sur Belle-Île-en-Mer pour que je puisse être TON Observateur. J'aurais pas dû insister. J'aurais dû les écouter, mais j'étais jeune et tellement bête. Si je t'avais laissé à eux et rempli mon rôle de mère, tu serais pas là ... dans ce cimetière. Tu te serais pas suicidée. Mais tu l'as fait ! J'ai eu ta lettre Gaby ... on aurait pu tout arranger ! Oui t'étais malade, oui tu avais peur, mais si tu m'en avais parlé. On en serait pas là ! J'vis dans l'regret de pas être morte à ta place. J'vis dans l'regret de pas être à ta place.

Camélia se met à genou en larme devant la tombe de sa fille. Sa tête se redresse, ses yeux sont rougis de larmes, ses poings sont fermés

J'ai pas supporté. J'ai essayé de tuer l'autre ... celui qui t'a tué. J'ai essayé. Plusieurs fois. A maintes reprises. Mais à chaque fois, on revivait le même jour. TON jour. A chaque fois, tu mourais pareil. Pourquoi t'as fait ça Gaby ? Pourquoi ? T'as d'mandé d'l'aide à une sorcière pour me maudire ... avec ce type ... bon ok j'l'aimais beaucoup, mais c'est pas une raison de m'lier à lui. Il a accepté de te tuer ... mais ... pourquoi  ? J'comprends pas. J'ai fais tellement d'erreurs Gabrielle. Tellement d'erreurs ... mais toi ... tu ne l'étais pas. Tout ce que j'ai fait, mes sacrifices, c'était pour que tu vives. J'étais prête à mourir pour toi. Tu m'entends ? J'étais prête à me sacrifier pour que tu vives ! Mais tu l'as fait à ma place. C'était pas ton rôle. C'était pas ton rôle ... Tu étais ma fille. Mon enfant ... Mon... mon bébé. T'aimais pas que je te câline, mais tu aimais ça. T'avoir contre moi ... ça me manque tellement que ça me tue ...


Camélia sanglote, les épaules tombées en avant, la tête basse, toujours à genoux, les bras croisés. Elle sanglote et laisse ses larmes tomber.

J'aimerais ... revenir en arrière. J'aimerais ... tout changer ... j'aimerais te serrer dans mes bras comme quand j'le faisais quand t'avais peur. J'aimerais ... que tu sois là. Je sais pas quoi faire sans toi. J'sais pas vivre sans toi. Je sais pas ... ça fait 5 ans, et j'sais toujours pas. Je sais pas ...

Au fur et à mesure que le ciel s'assombrit, Camélia se calmait. Elle enleva ses larmes, inspira et poussa un profond soupir. Elle déglutie et regarde les tombes de : Gabrielle, Iris Chevalier-Rousseau et de Raphaël, Timothée Rousseau

J'ai échoué Raph. Je suis terriblement désolée ...

Ce soir, Camélia ira boire des verres dans un bar. Elle sera ivre, se battra sans doute et dormira dans le canapé à défaut de dormir dans le lit de la chambre d’hôtel. C'est la seule année où elle se recueille sur la tombe de sa fille et où elle se livre. Seule année où les seuls témoins de sa souffrance sont ceux qu'elle a aimé. Au lendemain de cette soirée, elle partira pour Lyon, où elle vit depuis environ 5 ans. Pourquoi Lyon ? Pour être à l'opposé de ses amours et parce que Lyon l'a toujours attiré.

Lorsqu'elle croisera la route du demi-démon responsable de la mort de sa fille, elle aura plusieurs choix : soit l'ignorer, soit le détester encore plus et lui cracher sa haine au visage soit le tuer. Mais si elle le tue, sa "malédiction" lui fera revivre la même journée et le jour suivant, elle reviendra dans le présent avec de sacrés maux de têtes et de ventre. Tout dépend de combien de fois elle le tue. La dernière fois, elle a tué le demi-démon plusieurs fois, c'était quand elle a perdu sa fille ... elle a été malade pendant une bonne grosse semaine. Aujourd'hui, elle veut se délier de cette malédiction. Mais la seule et unique manière de le faire, c'est d'accepter la mort de sa fille. Chose qu'elle n'acceptera jamais.

Ce que Camélia ne sait pas, c'est qu'elle a 7 ans pour se délier de cette malédiction. Sans quoi, son âme sera au Diable ...