Shake it out | feat Malaki

Ton corps s'indigne. Il hurle sa souffrance et tu continues de l'ignorer. Peut-être que Roxane a raison, ce n'est plus de ton âge. Il existe peut-être une date de péremption et tu viens de dépasser la tienne. C'est le dos courbaturé et les pieds en charpies que tu rentres à ton domicile. Le calme envahit les lieux et t'es prise d'un étrange sentiment. Une part de toi est satisfaite de cette quiétude ambiante tandis que l'autre se morfond à l'idée de rester seule.

— Malaki, t'es là?

Tu demandes, tu espères mais tu connais déjà la réponse. Rien. Tu n'entends pas sa voix et ne perçois en rien sa présence. Tu te pinces les lèvres et ravales ta déception. Péniblement tu retires ta veste en cuir que tu balances  sur ton canapé. Un tel désordre ne te ressemble pas mais tu ne souhaites qu'une chose à présent, te couler dans un bain et c'est ce que tu fais dans les minutes qui suivent.

L'eau t'enveloppe et te réchauffe. Tu y trouves un certain réconfort et tes paupières se ferment. Tu essaies de te détendre mais ton esprit refuse le moindre répit. Tu rumines ta situation actuelle. Tu laisses tes angoisses resurgir. Le Conseil s'est trompé en t'assignant une potentielle. Tu n'es pas à la hauteur, tu n'es pas prête à revivre ça. Et à chaque fois que tu es en présence de Charlotte, tu sens le fantôme de ton aimée hanter ton cœur. Tu repenses à ses moments heureux en sa compagnie. Mais le bonheur se teinte toujours de vermeille. Il laisse derrière lui un arrière gout de cendre et de rouille.

A la perte d'un être cher on pense à tord que le monde cesse de tourner. On est persuadé que jamais on ne sera capable de se relever et la colère nous gagne. Cette haine fourbe et sournoise car la Terre poursuit sa route. Le temps ne s'arrête pas il s'écoule et les mémoires s'effacent. Les gens oublient votre peine, votre perte et on comprend à quel point nous sommes si peu de choses. Des corps éphémères destinés dès notre naissance à se faner et à pourrir. Des âmes usagées qui se dispersent dans le néant. Puis les années passent et nous sommes de nouveau intégrés dans la Ronde. On se surprend à rire encore, à aimer à nouveau pourtant ce vide persiste. Mais on survit. On demeure. Et c'est à la fois horrible et merveilleux car ça nous renvoie à notre propre insignifiance.

Tu restes vautrée dans ton bain un temps indéfini et tu ne décides à le quitter qu'une fois l'eau entièrement froide. Tu déplores une seconde tes mains palmées mais tu apprécies les bienfaits sur ton corps. Tes courbatures te paraissent moins douloureuses et c'est l'essentiel. Tu quittes la salle de bain affublée d'un peignoir éponge et d'une serviette sur la tête. Un look des plus "glamour" n'est-ce pas? Tes pieds nus foulent le carrelage de la cuisine. Une bouteille de tequila traîne dans le coin. En fait tu constates qu'il te reste assez pour te préparer plusieurs Margarita alors tu t'y colles. T'en prépare assez pour une troupe entière et te sers un premier verre. Si Malaki ne rentre pas trop tard il pourra sûrement profiter de tes talents de barmaid. En attendant, tu t'installes sur le canapé, ton verre dans une main et la télécommande de télé dans l'autre. C'est parti pour une séance zapette. 

Une journée de plus, le soleil tombant à l'horizon pour baigner la ville de Lyon d'une lueur orangée. T'aimes à savourer ce genre de moment, à juste resté assis sur un banc devant le lycée où tu viens intervenir une fois par semaine, pour regarder la foule d'étudiants disparaitre - et la ville s'animer pour le début de la soirée. T'inspire l'air pollué, saturé de poussières et des voitures qui commencent à s'amasser. T'as préféré ne pas prendre la tienne - t'as préféré venir par les transports, puis tu vas sans doute rentrer une partie en marchant. T'as envie de profiter de ce moment pour être seul, être dans ta tête et faire le vide. Simplement le vide - tu manques pas de temps libre depuis ton arrivé à Lyon, que tu combles avec plus de lieux pour te mettre à danser et donner des cours. Y a rien que t'aimes plus que cela - sauf peut être les soirées avec Savannah.
Soudainement, elle te manque. Le palpitant tapant douloureusement dans ta poitrine, le ventre se crispant, et l'impatience te donnant envie de hurler et de partir en courant. Tu te lèves sans plus attendre, mettant ton casque audio, et sors ton iPod pour choisir une musique entrainante. T'es fier de ton cadeau, celui que t'as choisi pour ton anniversaire avec trois mois d'avance. Tu le mérites - définitivement.

Tu marches, imaginant ce que sera ta soirée, et trouvant ton envie de danser. Danser jusqu'à avoir mal aux jambes, aux pieds, au coeur - t'en sais rien, peut être que tu seras assez chanceux pour te trouver un partenaire. Ou pour convaincre Savannah de faire de votre salon une piste de danse. Tu passe par une épicerie où tu trouves du citron vert, du rhum et de quoi ravitailler votre stock - Savannah est pas la dernière pour faire des cocktails incroyables, et même si tu te défends, t'aimes la laisser prendre soin de toi. T'oublie pas deux pizzas surgelées que tu imagines sans mal pour diner. De quoi manger rapidement, et faire de la nuit votre terrain de jeu pour la suite. T'espères qu'elle se trouvera dans l'humeur pour cela - parce que toi tu manques pas d'envie de faire la fête. Tu veux pas penser à pourquoi, parce que tu risques de laisser la solitude te glacer les veines et te rappeler qu'outre ta presque-soeur ta vie est rendue vide de toute chaleur humaine.

Rien de plus déprimant - en somme - d'autant que ton lit a été vidé depuis plus de dix jours. Un record pour toi - alors tu vas sortir ce soir. Et arrivé chez vous, tu te fous un sourire grandiose sur le visage, ouvre la porte sans attendre - « Chérie j'suis rent- »  Et te stoppe net devant la ridicule vision que t'as sous les yeux. Elle est là - la belle Savannah - bien que pour le coup tu oses te demander ce qu'elle a de si séduisant. Sans doute qu'il se trouve peu de gens pour la voir avec la gueule en biais, une tenue incorrecte, et la télécommande en main. Déprimant - oui - mais t'as décidé que votre soirée se réduirait pas à cela. « La féminité est morte, tu l'as définitivement enterrée. » déclares-tu en fermant la porte, posant tes clés dans la coupelle de l'entrée, et abandonnant ton manteau pourpre sur le porte manteau. T'as une tenue de sport - évidemment - mais t'avais prévu une douche pour te faire beau.

« Eteins moi ça, Sav, on sort ce soir. »  Dis-tu en te penchant vers elle pour embrasser son front, lui flashant un sourire admirable avant de faire ton chemin vers la cuisine. « J'mets le repas à cuir, tu vas me sortir ta plus belle tenue - ou non. La plus sexy, en diable, diaboliquement sexy. Et on se prend un verre. Tu me raconteras ta journée - et je te la ferais oubliée. »

Cette solitude te pèse autant qu'elle t'apaise. Tu n'as personne pour te juger en cet instant, toi, la quarantenaire échouée comme une baleine sur ton canapé. T'es bien loin de l'image de bombasse que tu véhicules. Tu te sens loin de tout à dire vrai. Ton doigt appuie machinalement sur la zapette, les images défilent et ton esprit se vide. A la fois clouée tel un poids lourd appelé par la gravité et légère par cette absence de matière grise. Puis l'ouragan débarque. Le cyclone Malaki souffle cette sensation de néant en un instant. Tu redresses les épaules, tes prunelles se détachent de l'écran et tu accueilles ton colocataire d'un sourire chaleureux. Même en ces instants de troubles tu es sensible à son humour et malgré toi un rire t'échappe. Jamais tu ne penses à le lui dire mais t'es heureuse de sa présence ici.

— Bonsoir à toi aussi.

Ce bonheur t'es d'ailleurs confirmé quand il s'approche de toi pour un baiser sur ton front. C'est bête comme geste, il fait parti de votre quotidien mais à chaque fois ça t'emplit le cœur d'une agréable chaleur, ce sentiment réconfortant d'appartenir à quelque chose, d'être importante pour quelqu'un. Tout en sirotant ton cocktail, tu suis du regard Malaki, consciente que ta soirée glandouille est fichue.

— Et si je te dis que ma tenue la plus sexy en diable est au lavage?

Tu tentes ta chance, cherches à sauver cette soirée de feignasse mais tu sais pertinemment que c'est peine perdu. Malaki, renoncer à une soirée? La bonne blague. D'ailleurs, depuis quand tu préfères rester vautrée sur un canapé? Cela ne te ressemble effectivement pas. Alors tu éteins la télé et te lève. Une part de toi rêve déjà de se vautrer encore et pour toujours tandis que l'autre se révolte voulant danser jusque pas d'heure.

— Je vais me changer, que tu capitules finalement.

Une fois dans ta chambre, t'en viens à te dire qu'il a peut-être lui-même passé une mauvaise journée. Peut-être qu'il a lui aussi besoin de se changer les idées. Peut-être... que des suppositions mais rien de concrets. Il peut parfois se montrer secret et ton rôle, à toi, c'est de lui tirer les vers du nez pour t'assurer qu'il aille bien. Au final cette sortie est un bon prétexte. Il va picoler et toi tu vas l'asticoter. Ton choix se porte tout naturellement sur cette robe noire, courte avec un décolleté plongeant. Quand tu la portes il est impossible de ne pas baiser les yeux sur ta poitrine généreuse... et c'est justement pour ça que tu l'aimes autant. Attirer les regards, la convoitise, le désir, tu adores. Femme de tout les fantasmes, on regarde mais on ne touche pas. Pas sans ta permission en tout les cas. Tu complètes la tenue d'une paire de cuissardes en cuir. D'ailleurs pour ne rien changer à tes habitudes, tu maquilles ton teint et accentues tes yeux d'un smooky eyes parfaitement maîtrisé. Tu te sens 'fin prête à affronter la suite et quittes ta chambre. Une odeur agréable de pizza te chatouille les narines et l'appétit te viens. D'un seul coup tu te sens prête à dévorer un homme entier sauf que tu préfères attendre Malaki. Le pauvre, si tu commences à bouffer maintenant il ne lui restera plus rien. On dirait pas comme ça mais en vrai t'es un estomac ambulant. Alors au lieu de te jeter sur la pizza, tu la sors du four pour éviter qu'elle crame et te sers un nouveau verre de margarita. Sauf que l'ambiance est pas terrible et tu n'as pas la moindre idée du temps qu'il va falloir à ton colocataire pour se préparer.

Tu réfléchis, balaies l'ensemble de ton environnement du regard. La chaîne hi-fi, bien évidemment! Un peu de musique ne peut que te mettre dans une ambiance festive! Alors tu te rends dans le salon et l'allume. Pour toi c'est un peu la surprise, ne te souvenant pas du dernier CD que tu y'a mis... ce qui est certain en revanche, c'est que tu ne pensais pas à trouver cette chanson là en particulier. Oups I did it again de Britney Spears, sérieusement? Tu lèves les yeux au ciel avant de soupirer.

— Roxane.

Le pire c'est qu'elle pense que son plaisir coupable est un secret absolue mais non. A chaque fois la blonde vient à l'appartement pour écouter les albums de la chanteuse et à chaque fois elle oublie le fameux CD. Étrangement le disque disparaît après un moment comme si de rien n'était. Tu n'en parles jamais et elle non plus. N'empêche qu'en attendant c'est toi, et pas Roxane, qui se dandine sur la musique. Et cette fois, c'est toi qui espère ne pas te faire choper à danser sur du Britney Spears.