Dernier pub avant la fin du Monde (ft.Marcus)

La journée avait été épuisante et pas spécialement bonne. Plus le temps passait, plus il prenait conscience qu’il ne savait rien de la fonction d’Observateur. Et pourtant, il avait fouillé encore et encore, lu, fait de multiples recherches. Il savait tout ou presque sur les entrainements, les techniques de combat à enseigner aux élues, le savoir théorique qu’elles devaient intégrer, les différentes parties de leur initiation. Et pourtant, force était de constater qu’il avait tout d’un débutant et avait l’impression d’être absolument lamentable. Il avait occulté le principal: la psychologie, ou plutôt la psychologie d’une jeune fille de dix-neuf ans qui n’avait rien demandé à personne et n’avait pas la moindre envie d’assumer cette vocation. Il se sentait évidemment extrêmement coupable de l’arracher ainsi à une vie normale. Il se consolait en se disant qu’étant donné le nombre de potentielles, les chances qu’elle soit élue étaient minces. Bien qu’en réalité, une partie de lui eut été plutôt fier d’être l’Observateur de la Tueuse. Fier et probablement sous une énorme pression…

Il avait besoin de décompresser et ouvrit la porte du premier bar qui lui sembla potable. Ces endroits n’avaient strictement rien à voir avec les pubs auxquels il était habitué et lui faisaient une fois de plus regretter sa douce patrie. Il s’assit au bar et commanda un whisky à un barman grossier qui lui dit à peine bonsoir. Archibald haussa les épaules et sortit de sa poche un carnet où il avait l’habitude de prendre des notes sur tout et n’importe quoi. Ces derniers temps, il y avait une recrudescence de vampires aux alentours des cimetières de la ville et c’était quelque chose qu’il souhaitait observer de plus près avant de décider s’il y avait de quoi s’en inquiéter.

Enfin le barman lui apporta son whisky, que le britannique manqua de recracher dès la première gorgée. Décidément, on était bien loin des bons whisky de chez lui. Il s’efforça d’éviter de se plonger dans la nostalgie et continua son breuvage infect. Il avait du mal à s’habituer à la France, mais malheureusement il n’avait pas le choix. C’était la première mission qu’on lui confiait en tant qu’Observateur et il ne devait pas se tromper. Il était sur la sellette et il le savait parfaitement.

Plongé dans ses pensées, il ne fit pas attention à l’homme qui le regardait fixement et s’approchait de lui.

 

Les femmes! Un vaste sujet sur lequel Marcus aime débattre. Les femmes sont si envoûtantes avec leurs courbes, leur sourire et leurs yeux de biches. Le soucis, avec les femmes, c'est qu'elles n'ont aucun goût. En tout cas, c'est la conclusion de Marcus alors qu'il ingurgite son énième verre de Tequila. Il est évident qu'elles ne savent rien matière d'hommes, sinon elles seraient toutes là à se traîner à ses pieds. Finalement, ce n'est peut-être pas pour rien que l'homme est considéré comme le sexe fort. Ouais, voilà la conclusion de tout ça. Les hommes! Pourquoi ne pas tenter sa chance auprès des hommes, pour essayer? Le lycan grimace à l'idée de son anus défoncé. Déjà qu'il manque de chialer quand il accouche d'un colombin trop costaud... mais c'est peut-être comme l'épilation du SIF, on s'y habitue? Le québécois frappe dans ses mains et frotte ses paumes l'une contre l'autre, son regard se promenant sur les différents clients du bar. Trop petit, non. Cheveux trop gras, non. Trop maigre, non. C'est une verrue sur le menton de celui-ci? Assurément non. Finalement, ses sombres prunelles se verrouillent sur un quarantenaire. Un peu vieux mais classe. Probablement un dandy, se dit le lycan. Les dandys ne sont-ils pas gays? Marcus en est presque certain. Alors il quitte son siège pour aller rejoindre le ténébreux inconnu. Sûr de lui, il affiche un sourire qui se veut charmeur mais il ressemble d'avantages à un mec constipé, ce qui est ironique quand on sait que présentement il a une envie de chier. Une fois proche de sa "cible", il pose un coude sur le comptoir, essayant de se donner un air nonchalant.

— Salut toi, je t'offre un verre?

Déjà que Marcus a une voix rauque... mais là, il a volontairement forcé sur sa voix, pour avoir une voix encore plus viril. Au final ça donne une mauvaise imitation de Rambo.

— Ou deux.
 

Archibald avala quelques gorgées de plus de son whisky. Bon au final ça passait une fois qu’on s’y habituait. Et puis ça avait le mérite d’être assez fort pour lui permettre de se détendre un peu. Il pouvait déjà sentir le breuvage faire effet. Il rangea son carnet de notes et attrapa un journal que quelqu’un avait laissé trainer sur le comptoir. Il préférait largement la lecture de ses livres poussiéreux, mais au moins cela lui permettait d’avoir une vision de ce qu’il se passait actuellement en ville. Peut-être même pourrait-il prendre le temps de faire les mots croisés, il devait bien avoir un stylo dans sa poche. Il était en train de lire une retranscription d’un discours du maire de la ville, lorsqu’il sentit une présence un peu trop proche. Il leva les yeux et son regard se posa sur un homme qui le regardait fixement, d’une manière un peu bizarre. On aurait dit qu’il était affamé, ou quelque chose de ce genre. Mais son étonnement creva le plafond lorsque cet étrange individu se mit à parler. Archibald eut un mouvement de recul devant tant de familiarité.

« Je vous demande pardon ? » fut tout ce qu’il trouva à dire.

S’agissait-il d’une étrange coutume française que d’importuner les honnêtes gens pendant qu’ils boivent un verre au bar ? Ou cet homme avait-il besoin de compagnie au point d’aller aborder la première personne venue pour faire la conversation ? Il leva un sourcil, ne sachant que répondre face à pareil invitation.

« Euh… non merci, j’ai ce qu’il faut. »

Ses bonnes manières l’empêchant d’envoyer promener frontalement l’importun, il choisit d’adopter un ton bourru afin de bien lui faire comprendre que sa compagnie n’était pas désirable. D’ailleurs pour appuyer cela, il fit mine de se replonger dans sa lecture en l’ignorant totalement. Avec ça, il allait forcément comprendre qu’il valait mieux passer son chemin et le laisser tranquille… n’est-ce pas ?

 

L'étonnement du dandy ne surprend pas Marcus. Forcément qu'il est étonné d'être ainsi abordé par un bel étalon. Loin de le décourager, ça ne le motive que d'avantages, élargissant le sourire qui défigure sa face de petit con. Même le refus du quarantenaire n'entame en rien la détermination du lycan. Il cherche simplement à se faire désirer. C'est typique des dandys, Marcus en est persuadé. Alors il ne lâche pas l'affaire et se contente d'interpeller le barman pour "deux doigts" de whisky. Venant de la bouche du lycan, l'expression "deux doigt" prit une tournure volontairement salace, accompagné d'un regard lubrique en direction du dandy.  

— Dans ce cas je n'en prendrais qu'un seul, pour moi.

Maintenant qu'il vient de briser la glace, il lui faut maintenir la conversation. Avec les femmes c'est simple. Il suffit de les complimenter sur leurs attributs féminins, parler sacs à main et shopping, et l'affaire est bouclée. En théorie. Sur la pratique, Marcus ne tombait que sur des frigides snobinardes. Le québécois glisse son regard en direction du journal et se racle la gorge avant de prendre la parole.

— Moi aussi, je lis.

Il tente de prendre un ton sérieux, un air intelligent. Mais seul un ivrogne au bord du coma éthylique s'y laisserait prendre.

— Notamment du Provost. J'aime son langage raffiné et son intellect. Mais j'ai une large préférence pour Emy Zola.

Proust devient Provost. Emile Zola se transforme en femme. La littérature et Marcus ne font guère bon ménage. Et jamais il n'a lu un seul livre de ces auteurs. Au mieux il en a vaguement entendu parlé mais de là à convenablement retenir leur patronyme... c'est bien trop lui demander. Pourtant il est convaincu d'avoir dit quelque chose de pertinent.

— On peut s'organiser une séance lecture chez moi, ce soir.
 

Archibald avait sincèrement cru qu’il avait réussi à se débarrasser de l’importun pour pouvoir se replonger tranquillement dans sa lecture. Malheureusement il déchanta rapidement lorsque celui-ci non seulement commanda un verre, mais en plus semblait persister à vouloir lui faire la conversation. L’Observateur remarqua que son accent n’était pas français, probablement canadien. Il n’y était pas encore habitué, bien qu’il ait une bonne maitrise de la langue. Il pouvait sentir son regard qu’il trouvait particulièrement intrusif. Lorsque le jeune homme reprit la parole, il le regarda, outré une fois de plus. Avait-il vraiment l’intention de papoter lecture après qu‘Archibald lui ait clairement fait comprendre, semblait-il, qu’il ne désirait pas sa compagnie ?

« Fort bien. Si vous permettez, j’aimerais justement me replonger dans ma lecture. »

Bon là c’était quand même clair, non ? Il pouvait difficilement faire plus limpide sans être directement malpoli. Malheureusement cela ne sembla pas suffisant pour calmer cet inconnu. Il faut croire qu’il y avait tout de même de mauvais côtés à être bien élevé. L’importun continuait à bavasser, et à lui parler d’écrivains. D’ailleurs l’anglais dut faire un effort pour comprendre de qui il parlait.

« Vous voulez dire Proust et Emile Zola ? »

Ces deux auteurs avaient beau ne pas être britanniques, il n’empêche qu’en tant que bibliothécaire, il se sentait profondément insulté ! Quel était ce clown ? Devant aussi peu de respect, Archibald se sentit prêt à laisser tomber ses bonnes manières.

« Ecoutez Monsieur, j’ai eu une longue journée et j’aimerais lire tranquille en buvant cet infect breuvage qu’ils osent appeler whisky ! » Cette dernière remarque lui valut un regard furieux du barman. « Je ne sais pas à quoi vous jouez, mais pouvez-vous S’IL VOUS PLAIT me laisser tranquille ? »

S’il n’en était pas encore à élever la voix, il adoptait néanmoins le ton le plus ferme possible et ses yeux lançaient des éclairs à travers les verres de ses lunettes.
  

 

Les subtilités? Marcus ne comprend pas. A dire vrai, il est persuadé que son approche fonctionne du tonnerre! Comment peut-il croire ça? Oh c'est simple le lycan croit, dur comme fer, que le dandy lui joue le coup classique du "oh je suis inaccessible" pour attirer l'attention, donner du challenge, se faire désirer. Conforté dans cette idée, ça ne le rend que plus déterminée. Un sourire en coin, celui du gars victorieux, il reste accoudé au bar. C'est qu'en plus, le quarantenaire le test sur ses connaissances littéraire. Bien joué mais Marcus ne mange pas de ce pain là. Il se prend un air volontairement guindé... en tout cas il essaie.

— Bien essayé mais vous ne passerez un sapin! Je voulais bien dire Provost et Emy Zola!  

Clin d'oeil qui se veut complice, Marcus se tapote ensuite le nez comme pour dire "ouais je suis un fin connaisseur". C'est beau de rêver... Le serveur apporte la consommation du lycan pile au moment où le dandy critique le breuvage. Pas cool, man, se dit Marcus. Cependant il se garde cette remarque histoire de ne pas froisser l'anglais. Il n'aimerait pas gâcher ses chances alors que l'affaire semble être ketchup! Le lycan hoche la tête.

— Je comprend, qu'il assure en buvant d'une traite son whisky.

Oh gosh! Le québécois essaie tant bien que mal de ne pas grimacer mais merde, c'était une putain de mauvaise idée! Le liquide enflamme son gosier et tord ses boyaux. Oh gosh! Il a l'impression que son estomac va se retourner comme un gant. Merde. Il en est à combien de verre, déjà?

— Wow, ça déchire!

Tout sourire, il s'apprête à tenter une nouvelle approche mais une main ferme se pose sur son épaule, la lui broyant au passage.

— Aïe aïe aïe, couine le lycan en se tournant vers le bourreau.

Y'a pas un mais deux colosses qui se tiennent face à lui. Oups. Marcus déglutit, ses prunelles naviguant entre colosse-brun et colosse-crâne-d’œuf.

— Marcus, notre boss réclame le talisman que tu lui a volé.

Un plan. Vite. Le lycan déglutit une dernière fois avant d'avoir une idée lumineuse. Tant pis, ce soir  il ne conclura rien du tout.

— Ah et bien justement, ça tombe bien, parce que je l'ai confié à ce monsieur ici présent hier.

Sans hésiter il désigne le dandy d'un geste théâtral.

— D'ailleurs, on se voyait ce soir pour négocier le prix. Mais... enfin je vous en prie. Réglez les détails avec lui.

Les deux colosses avisèrent alors Archibald. De toute manière ils ne comptaient pas laisser partir Marcus mais à présent, ils ne comptent pas laisser partir le dandy également.

— On va régler cette histoire dans la ruelle.

Le colosse crâne-d'oeuf broie une nouvelle fois l'épaule du lycan tandis que le colosse-brun se place aux côtés d'Archibald pour s'assurer aucune fuite.
 

Il comprit alors qu’il n’était pas seulement face à un importun qui avait décidé de lui faire perdre son temps, mais à un parfait imbécile. Archibald commençait même à se demander s’il ne le faisait pas exprès en fait. Parce qu’à ce degré là, c’était difficilement concevable. Devant l’insistance du québécois, il ne put s’empêcher de pousser un profond soupir.

« Oh, Lord ! »

Il se sentait totalement pris au piège, et à juste titre, l’autre semblait vouloir lui coller aux basques sans qu’il sache vraiment pourquoi. On ne peut pas dire qu’il avait donné de raison. Peut-être s’ennuyait-il et avait-il décidé de gâcher la soirée de quelqu’un ? Et pas de chance, c’était tombé sur Archibald !
Il aurait presque pu le trouver comique en fait, enfin s’il avait été réceptif à ce genre d’humour. Mais il était surtout agacé de le voir s’agiter ainsi, faire le malin, s’étouffer à moitié avec le whisky qu’il venait d’avaler.

« Oui c’est ce qui arrive en général lorsqu’on avale un verre de whisky comme si c’était du lait… » commenta-t-il avec une certaine ironie.

Bon il avait compris. La seule solution pour échapper à cette sangsue était de quitter le bar et de dire adieu à son moment de paix. Il était prêt à capituler plutôt que de devoir subir la présence de cet énergumène une seconde de plus.

« Bon c’était un plaisir, mais je vais devoir vous… »

Avant même qu’il ait eu le temps de terminer sa phrase, voilà qu’un colosse apparut d’on ne sait où, juste derrière le québécois. Archibald leva un sourcil en entendant le mot talisman. Quel talisman ? Qui était cet homme ? S’agissait-il d’un de ces trafiquants d’artefacts ?
La chose raisonnable eut été de prendre la poudre d’escampette avant que les choses ne s’enveniment. Après tout, cette affaire ne le concernait absolument pas. Malheureusement, il ne le réalisa que trop tard, au moment où Marcus le désigna comme faisant partie de la combine.


« Pardon quoi ? » fut tout ce que l’Observateur parvint à articuler.

Si ses yeux avaient pu lancer des éclairs, le brun serait à cet instant réduit en un tas de cendre. Sur quel abruti était-il tombé ? Il soupira et regarda les deux énormes colosses, puis les personnes qui se trouvaient dans le bar. Il y avait bien trop de civils, sortir était en effet la meilleur option.

« Très bien, je vous suis. »

Il se leva d’un air digne, rangea ses lunettes dans leur étui qu’il plaça dans la poche de sa veste. Puis il les suivit hors du bar, prenant soin d’emporter discrètement son verre. Il n’avait pas particulièrement prévu de se battre ce soir-là, surtout qu’il aimait son costume. Pendant qu’ils sortaient, il prit soin d’observer les deux hommes. Leur pas lourd laissait à penser qu’ils n’étaient pas très rapides. Ils avaient sans doute une chance. Quoiqu’il n’était pas certain d’emmener le québécois avec lui.

Une fois arrivés dans la ruelle, Archibald voulut tenter une dernière négociation.

« Messieurs, je crains qu’il n’y ait une erreur. Je ne possède absolument pas le talisman dont vous parlez, bien que j’aimerais en savoir plus sur le sujet. Je suggère que nous partions chacun de notre côté et que nous oubliions cette regrettable affaire. »

Les deux se regardèrent un instant, comme s’ils essayaient de comprendre ce que l’anglais venait de dire. Le chauve l’attrapa par le col.

« Tu te fous de nous ou quoi ? Donne-nous ce talisman ou j’te jure que tu vas le regretter ! »

L’Observateur s’efforça d’aborder un air d’incompréhension.

« Je vous jure que je ne l’ai pas ! Cet homme vous a menti ! » déclara-t-il en désignant Marcus de sa main libre. « A mon avis, il veut le garder pour lui tout seul. Regardez-le ! On voit bien qu’il se moque de vous. »
  

 

La merde ça se partage comme les cookies. Ouais, autant se vautrer dans la boue avec son compagnon. C'est bien ce que font les cochons, non? Ce n'est pas pour ça qu'on dit copain comme cochon? Avec une telle aventure, le dandy et Marcus vont devenir copain comme cochon ou comme cul et chemise... même si le lycan ne comprend pas la dernière expression. Donc ouais, là, il scelle au fer rouge une solide amitié... si ils ne se font pas tués. Il s'imagine avec une tasse de whisky à la main et le dandy avec son petit verre de lait, à rire à gorge déployé en repensant à cette première rencontre. La bonne époque, diraient-ils, les yeux dans les yeux. Le dandy accepte de suivre les gros molosses et Marcus affiche un grand sourire. Ouais, son pote improvisé décide de ne pas l'abandonner. Merveilleux! Solidaire, le lycan emboîte le pas. Okay, c'est surtout qu'on ne lui laisse pas le choix.

Marcus a l'habitude de se retrouver dans les fonds de ruelles avec des gars douteux. Il se demande si il en est de même pour le dandy. Ce dernier tente de négocier. Une erreur? Marcus acquiesce. Bien évidemment que tout ceci est une erreur. Il faut le relâcher, lui, Marcus, innocente victime. Par contre pas très malin de prétendre ne pas avoir le talisman. Le lycan secoue la tête de gauche à droite, désapprobateur.

— S'pas bien de mentir. Ton nez s'allonge pinocchio.

Le crâne d'oeuf semble en adéquation avec le lycan puisqu'il attrape le dandy par le col. Marcus affiche une grimace compatissante. Non, ça c'est pas cool, vraiment, ça ne se fait pas de prendre les gens comme ça. M'enfin, autant en profiter pour partir. Discrètement il entame quelques pas de crabe pour s'éloigner de la joyeuse troupe. Puis là c'est le drame pour le québécois. Cette amitié, si profonde et si solide s'effondre soudainement. Choqué, il s'arrête et ouvre la bouche en grand devant pareil accusation. Il mine d'être offensé bien qu'en vrai il le soit réellement d'être accusé de cette manière. Puis sa fout en l'air sa tentative d'évasion. Les deux gros molosses le fixe lui.

— Comment oses-tu... Norbert! Me traiter de la sorte après tout ce que j'ai fait pour toi! Et ce talisman que je t'ai offert avec amour va t-il réellement sonner le glace de notre amour? Notre collaboration est terminée! Terminée tu m'entends?

Oui. Il a bien dit "glace" à la place de "glas". Et il surjoue mais cette petite mise en scène improvisée a au moins le mérite de désarçonner les molosses qui se demandent bien ce qui se passe. Le crâne d'oeuf regarde son compagnon.

— Tuons ces deux abrutis. On perd notre temps.

Non non non. Ce n'était pas le plan. Okay il n'a pas de plan mais mourir ça n'est clairement pas dans ses projets. Il voulait fourrer son biscuit une dernière fois. Au moins une fois dans l'année, quoi. C'est trop demander? Visiblement oui puisqu'il se sent attraper par la nuque.

— Attendez!!! qu'hurle le québécois.

Une seconde plus tard et c'est sur il se serait retrouvé avec la nuque brisée.

— Si vous nous tuez tout de suite, jamais vous ne verrez le talisman. C'est dommage. Alors qu'en vrai on peut vous y emmener.

Un échange de regard entre les deux molosses et comme à chaque fois c'est crâne d'oeuf qui prend la parole.

— Tu sais où il l'a planqué?
— Ouais! Carrément. Je peux vous y emmener.

L'enthousiasme de Marcus frôle la bêtise. Okay, depuis longtemps le québécois a dépassé le stade de l'effleurement en matière de conneries.

— Donc on peut tuer Norbert.
— Ouais.

Attendez une seconde.

— C'est qui Norbert, déjà? question Marcus.

 

Il ne parvenait pas à savoir s’il était en plein cauchemar tant tout cela semblait surréaliste. Ce n’était pas son genre de s’attirer des ennuis aussi bêtement. Il aurait dû se méfier dès qu’il avait vu le Québécois, cet homme, en plus d’être d’une stupidité confondante s’était apparemment attiré des ennuis. Et voilà qu’il se trouvait dans une situation des plus fâcheuses. L’un des type avait attrapé le col de sa chemise, chemise qu’il avait pourtant si soigneusement repassée le matin même. Tout en le menaçant de son poing. Archibald ne trouva qu’une solution pour gagner un peu de temps: accuser celui par qui toute cette histoire avait commencé. Il n’en était pas particulièrement fier, ceci dit. Quoiqu’en remarquant que le Québécois s’apprêtait à s’enfuir en douce, il éprouva nettement moins de remord. Et sa tirade sembla laisser tout le monde bouche bée. Malgré la situation critique dans laquelle il se trouvait, l’Observateur leva les yeux au ciel.

« Décidément, vous n’avez pas appris à vous taire, vous. »

Evidemment, il n’avait fait qu’énerver les deux colosses qui décidèrent apparemment qu’il était temps de les tuer. Il ne pouvait pas les blâmer, lui même aurait volontiers tordu le cou de l’idiot en cet instant. Apparemment c’est le sort que ce dernier allait subir lorsque l’autre type l’attrapa par le cou. Mais il sembla que l’homme eut l’idée d’inventer une planque secrète où se trouverait le talisman. D’un coup, l’Anglais se dit que, peut-être le Québécois était moins bête qu’il en avait l’air. Mais cette opinion là s’effaça bien vite devant l’évidence. Après avoir levé les yeux au ciel, Archibald se serait volontiers frappé le front s’il avait été dans la position adéquate.

« C’est lui Norbert, non? » Les deux les regardaient alternativement, l’air de ne plus trop savoir où ils en étaient. « Tu te fous de nous c’est ça ? »

Les deux loubards se mirent à regarder le Québécois d’un air menaçant et Archibald sentit la pression autour de sa chemise se défaire. Celui qui le tenait finit par le lâcher, détournant son attention de lui. C’était le moment ou jamais pour filer. Ce qu’il devait faire absolument, là maintenant. Et il faillit bien. Sauf qu’il savait parfaitement que s’il fuyait maintenant, il condamnait l’autre à mort. Cet imbécile était si pathétique qu’il lui faisait pitié. Il allait sans doute payer ce qu’il était sur le point de faire.

Par chance, il n’avait pas lâché le faire de whisky. Il s’avança prudemment derrière celui qui était le plus proche et d’un coup sec explosa le verre à l’arrière de sa tête. Profitant du choc, il utilisa toute la force dont il était capable pour le pousser contre son compère. Il était certes loin d’être aussi fort physiquement que lorsqu’il était démon, mais savait être suffisamment précis pour leur faire gagner un peu de temps. Il se précipita vers le Québécois et le tira par la manche.

« Courez, vite ! »

Il fonça, espérant que l’autre le suivait. Ils avaient tout intérêt à prendre le plus d’avance possible, parce que les deux autres n’allaient pas se faire prier pour les rattraper une fois qu’ils auraient repris leurs esprits. Et cette fois ils seraient vraiment très en colère…
  

 

Apprendre à se taire pour quoi faire? On encourage bien les gamins à jaser qu'il sache, non? C'est quand même le monde à l'envers de l'enjoindre à se taire, sérieusement. Avec sa bouille innocente, il glisse un regard paumé vers Archibald. Non sérieusement, il ne comprend pas pourquoi il devrait se taire. Au contraire. Marcus ouvre la bouche. Marcus invente une histoire. Il se prend au jeu et pour le coup il embrouille tout le monde, lui inclus dans ce tout le monde. Norbert c'est qui déjà?

— Non non j'me fous pas de votre trogne. Même si elle est étrangement foutue votre tête. Non c'est vrai on dirait que...

Les balourds le fixent lui et juste lui. Marcus déglutit. Il réalise que la patience de ses bourreaux se consume aussi vite qu'un joint dans une tournante. Puis un truc éclate contre la tronche d'un des gars. Outch. Le lycan lâche une grimace compatissante. L'emprise sur sa petite personne se relâche automatiquement. Gros balourd assommé est balancé contre l'autre gros balourd. Décidément le dandy ne manque ni de ressources ni de prise de risque. Marcus voulait s'attarder le temps de les narguer mais le conseil du dandy s'avère pertinent : courir. C'est une bonne idée, ça.

Alors il prend lui aussi la poudre d'escampette en prenant soin de suivre l'anglais. Entre deux foulées, le lycan est prise d'une idée géniale, formidable, vraiment! Un coup d’œil par dessus son épaule lui indique que le dandy et lui ont une bonne avance.

— Le restau chinois!

Ouais ça a l'air random et inutile au vu du contexte. Mais pas loin y'a le restau chinois qu'il dépouille régulièrement. A l'arrière du bâtiment, ils foutent des tonnes de bonnes nourritures à la poubelle. Un vrai gâchis. De temps en temps Marcus vient se servir. Il se souvient surtout de la grande benne qui peut accueillir deux gars comme eux. Et surtout, la ruelle possèdent deux entrées et donc deux sorties. De quoi induire en erreur les molosses.

— Suivez-moi.

On s'en doute, Archibald n'a aucune raison de le suivre ou de lui accorder le moindre crédit. Pourtant en matière de fuite et d'esquive, le lycan est plutôt doué. La preuve, il est toujours vivant alors que des emmerdes, il en provoque à la pelle. Soudainement, le lycan bifurque à sa droite s'enfonçant dans la fameuse ruelle. Il fonce droit sur la benne à ordure, l'ouvre et se jette littéralement à l'intérieur.

— Grimpez!

C'est que la moindre seconde est cruciale.
 

Archibald n’arrivait pas à comprendre comment il avait pu se retrouver dans une galère pareille, lui qui demandait simplement à remplir tranquillement ses mots croisés à la fin d’une longue journée de travail. Il fallait croire que c’était bien trop demandé. Il avait dû faire quelque chose de vraiment très mal pour que le karma lui fasse croiser la route de Marcus. Non pas qu’il croit au karma, mais c’était un sacré coup de malchance en tout cas, c’était certain. Et au lieu d’avoir le bon sens de se taire, il continuait à parler à tort et à travers, comme s’il essayait d’aggraver leur cas exprès. Il devait être suicidaire, ce n’était pas possible d’être aussi stupide !

L’Observateur avait profité de la situation pour les permettre de s’échapper. S’il avait cru au début que sauver la peau du Québécois également n’était peut-être pas malin, il changea rapidement d’avis. Il devait se rendre à l’évidence: Lyon était encore une ville nouvelle pour lui, mais ce n’était pas le cas de son compagnon d’infortune.

Sans réfléchir, il suivi ses indication et prit la direction du restaurant Chinois, tout en espérant qu’il avait raison de le faire. Il espérait bien que Marcus avait vraiment un plan de fuite en tête, et pas seulement un petit creux. Mais il n’avait pas d’autre choix que le suivre. C’était soit ça, soit finir entre les mains de ces brutes qui ne demandaient visiblement qu’à les tuer. Néanmoins, il ne s’attendait pas à ce que le Québécois lui indique de grimper dans une benne à ordures.

« Je vous demande pardon ?? »

Mais malheureusement, ce n’était pas une blague et il le comprit bien en voyant Marcus plonger dans la benne à ordures. Hors de question qu’il en arrive là, c’était beaucoup trop humiliant ! Et pourtant, en entendant des bruits de pas non loin de là, il comprit bien qu’il n’aurait pas le choix.

« Bon sang ! »

Maudissant encore et encore l’imbécile qui l’avait mené ici, il grimpa à son tour dans la benne, et la referma sur eux. L’odeur était absolument répugnante et il était plutôt soulagée de ne pas voir le détail des ordures autour d’eux. Il fusilla Marcus du regard, mais ne prononça pas un mot, attendant silencieusement que leurs poursuivants arrivent. Ou pas.

Et bientôt, il reconnut leurs voix, qui les cherchaient. Visiblement ils n’étaient pas très contents. Durant quelques secondes, ou quelques minutes, la tension fut à son comble. Puis, enfin, Archibald entendit les voix s’éloigner et poussa un soupir de soulagement silencieux. Il fit signe à Marcus de ne pas bouger, afin d’être sûr que les deux autres soient bel et bien partis.