La république du mauvais goût ☾ ft. Marcus

☾    La luxure exsudait les culpabilités. La dentelle serrée au jarret, les putains du bordel se pavanaient sous des airs distingués, accrochant au passage quelques bras pour y déposer leur parfum. Les lumières tamisaient leur peau, caressaient la courbe de leurs hanches pour offrir à leurs visiteurs les prémices de leur appétence. Vulgaires ou raffinées, elles n’étaient à termes que le ferment de prunelles lubriques et de mains mal placées. Un accord tacite empêchait ces grands philanthropes de mettre à jour la valeur immorale de leurs écarts et si certains riaient ensemble à quelques anecdotes, ils se livraient très vite à des jeux plus exclusifs.
« Mademoiselle ? »
Accrochée au comptoir du bar comme à la coque d’un bateau en perdition, Aliénor se saisit du Martini tenu devant elle.  S’il n’y avait eu que ces femmes, le sourire et les étreintes chaleureuses, une part d’elle se serait sentie à sa place. Il lui fallut pourtant chaque fois côtoyer les intentions limpides d’hommes sinistrement riches et corpulents, dont les doigts boudinés s'appuyaient grassement sur les chairs en leur arrachant des grimaces. La capacité de ces amantes anonymes à faire d’eux les leaders charismatiques qu’ils eurent rêvé d’être l’impressionnait. Si certains iris glissaient sur elle, elle eut été trop habillée et trop fermée pour amorcer d'autres indécences.
Son client avait rapidement disparu derrière l’un des épais rideaux, lui laissant avec le sourire une enveloppe trop épaisse et une invitation à passer une excellente soirée. Il ne lui en voudrait pas d’être restée ; la serveuse lui avait arraché une commande à son arrivée et Aliénor n’eut plus qu’à tenir ses engagements auprès d’elle. Comme tous étaient affairés à pêcher de plus gros poissons près des tables, la jeune femme s’accoudait silencieuse à l’un des pans du bar et attendait que l’un d’eux lève le doigt à son attention.
« Il ne vous reste plus que des pistaches ? »
Aliénor boudait du doigt la maigre ration d’arachides posée sur le comptoir. Elle aurait pu tenir une conversation bien plus riche avec la serveuse, mais l’envie lui manquait et elle se sentit bientôt trahie par ses épaules haussées et son regard navré. Elle plongea les lèvres dans son verre, exaltée d'amertume et d'alcool. Le gosier échauffé et la tête retombée sur le dos de sa main, elle entendit seulement les notes de musique crachées dans la pièce.

☾    Des frissons étoffaient son ivresse. Âpres et lénifiants, elle accusait le mélange fatigue alcool, manquant de se rappeler qu’ils furent les symptômes d’une affection nommée Marcus. Ses facultés de raisonnement lui faisaient défaut mais ses entrailles hurlaient à la noyade et ses discernements eurent été étouffés bien avant d’avoir accepté un verre. Elle dût se laisser surprendre par l’arrivée de son congénère, l’abdomen contracté et la mâchoire serrée. Ses clins d’œil maladroits lui firent froncer le nez et son corps tint sans résultat d’échapper à ses confidences.
Elle avait baissé les yeux sur ses vêtements, indécise sur les mots à choisir. Il eut l'air tout droit sorti d'un casting pour la refonte des Village People.
« Qu’est-ce… qui t’as dit ça ? »
Elle n’en était plus à le saluer. Il apparaissait si imprudemment vers elle que chacune de ses phrases put signer un au revoir. Il n’avait pas les codes de la clientèle du bordel - aussi fauché était-il qu’il put à peine s’endetter pour une pute – et Aliénor se demandait comment il eut fait pour entrer dans cette tenue. Ses interprétations lui échappaient et elle crut pour son bien que quelqu’un lui jouait un tour.
« Tu ne séduiras aucun homme ici à moins d’avoir ces fesses et un joli panel de prestations. »
Elle avait désigné du menton l’une des jeunes femmes souriant près des tables et s’était à nouveau accrochée à son verre, tentant par la même d'oublier ses penchants pour le cuir et les moustaches. Chaque gorgée lui insufflait un peu de courage distillé.
« Peux-tu éviter de nous faire remarquer dès qu’on est dans la même pièce ? »
Une grimace à peine dissimulée et les yeux rivés sur les siens, elle commençait à craindre d’être publiquement associée à lui. Ils purent partager le même fardeau, le soulagement de rencontrer un autre lycan avait disparu lorsque Marcus s’était révélé plus encombrant qu’utile à sa défense. Les rancœurs enfantines, elle le trouvait bête et grossier, accroché à ses secrets comme un chewing-gum à la gomme de sa semelle.
La serveuse avait disparue près des clients. Avalée par quelques gras de ventre, elle se courbait près des tables, son plateau à la main.
« Maintenant qu’on est là, et que tu ne trouveras pas l’homme de ta vie ce soir, qu’est-ce que je te sers ? »
Aliénor, penchée en équilibre sur le comptoir, tentait maladroitement d’accéder à la bouteille de Martini laissée près de l’évier. Ses doigts saisirent le col de la bouteille et elle brandit bientôt sa prise au-dessus de son visage.
« Martini ou Martini ? »
Elle avait penché le doseur sur son verre avant d’en remplir un vide à l’attention de Marcus, caressant avant service leur buvant de citron.
« Bon, explique-moi comment t'as atterri dans cette tenue à l’intérieur d’un bordel. »
Elle eut ce regard pour lui, déchiré entre bienveillance maternelle et consternation. Ses histoires eurent au moins le mérite d’être originales.