Pikabouh ! [JC/Jasper]

Pikabouh !

Entre deux pas de courses, je me retourne. Je ne le vois pas. Pas encore et ça m'inquiète d'autant plus car je n'ai pas la moindre idée de l'endroit où il se trouve. Je me stop devant l'ascenseur et j'actionne le bouton d'appel. Mon regard navigue constamment entre les portes et le couloir. Lorsque enfin j'entends les portes s'ouvrirent, je le vois à l'autre bout du couloir. Pris de panique, je monte dans la cabine... mais je n'ai pas vu. Le vide qui se trouvait juste sous mes pieds. Je chute. Je m'étale quelques mètres plus bas, le corps en miette. Mon genou éclaté brûle d'une douleur vivace et j'hurle. C'est plus fort que moi. Les cris franchissent la barrière de mes lèvres et je ne peux qu'attendre mon sort.

Plusieurs minutes s'écoulent avant que je ne le vois arriver. Ses deux billes m'observent et malgré le manque de lumière, je devine le rictus s'imprimant sur son visage. Il me prend avec une délicatesse malvenue. A l'image d'une poupée action man brisée. Il m'embarque sans savoir où. Ou du moins... Je ne veux pas m'en rappeler. Car une part de moi le sait. Ce schéma se répète en boucle depuis bien trop longtemps. Mon corps se souvient. Lorsqu'il m'allonge sur cette table de bois et m'attache, moi, je me résigne. Car je le sais. Je l'ai mérité. Je le sais, ma place est ici. En le voyant sortir ses instruments de torture, Je ne m''étonne pas. Absolument tout me reviens. Ces heures de tourment qui se concluaient toujours de la même façon. J'accepte mon sort.


Je fonce droit vers un mur et je tâte. Je cherche une porte. Un endroit où me cacher. Ma main se referme sur une poignée et je l'actionne, rentrant à l'intérieur d'une salle. Je calme cette envie de crier en me mordant la langue et tant pis si j'en saigne. Le goût métallique de cette liqueur m'éveille un brin et je me ressaisis. Je fouille autour de moi, toujours sans rien percevoir. J'ouvre des tiroirs et je finis par trouver. Une lampe de poche. Mais je l'entends. La porte qui grince. Je manque d'hurler mais me calme juste à temps. Il est impossible d'y voir que que ce soit, j'ai le temps de me cacher. Alors je me jette sous le bureau, peut-être un peu trop rapidement. Peut-être qu'il l'a entendu? Encore une fois, je bloque ma respiration mais mon palpitant pulse tellement que j'ai l'impression qu'on n'entends que ça.

Des bruissements de tissus me parviennent. Le bruit de chaussures marchant sur du papier. Des grognements inhumains. Et j'en viens à me demander si il s'agissait bien d'un homme... Je tremble. Il se rapproche. Et soudainement, je vois deux prunelles rougeoyante me fixer. Son haleine en putréfaction m'atteins et entre deux haut-le-cœur, j'actionne ma lampe de poche. Le jais de lumière le frappe en plein visage et je profite de cette distraction pour m'extraire de ma cachette. Je le pousse et prend la fuite. Je sors de ce bureau et m'élance dans le couloir. Éclairé de ma lampe, je m'y trouve mieux et je remarque seulement maintenant tout ce sang sur le sol et les murs. Ce plancher, si chaud, est dorénavant poisseux, collant. Une forte odeur de sang m'agresse la narine, mélangée à une effluve plus âpre : de la viande faisandée.

Entre deux pas de courses, je me retourne. Je ne le vois pas. Pas encore et ça m'inquiète d'autant plus car je n'ai pas la moindre idée de l'endroit où il se trouve. Je me stop devant l'ascenseur et j'actionne le bouton d'appel.

Puis une douleur fulgurante irradie ma main. Une marque apparaît et je me sens aspiré dans le néant.


Soudainement le décor change. Un décor rassurant et familier malgré les ténèbres qui règnent en ce lieu. M'enfin ça m'empêche pas de voir sa tête d'abruti. Fais pas genre de pas savoir. On le sait tous très bien que l'abruti dans la salle, c'est Jasper. Si je suis content de le voir? Tu déconnes? Forcément que oui mais c'est pas normal cette histoire. Y'a un truc qui cloche et y'a pas besoin d'être un génie pour le comprendre. Il hurle. Merde. Je fais si peur que ça? J'ai quel tronche, d'ailleurs?

— Bouh?


 

Pikabouh !

Difficile de connaître la marche à suivre. Jusqu'à présent on ne m'a envoyé aucun mode d'emploi sur la meilleure manière de gérer sa mort. Enfin je crois que je le suis? Je me sens comme anesthésié, émotionnellement parlant. D'une certaine manière je ne réalise pas encore. D'ailleurs, suis-je réellement avec Jasper ou cela n'est encore qu'un rêve, une illusion? Peut-être que je suis encore plongé dans le coma. Car il y'a une chose fascinante à savoir... c'est qu'on a conscience d'être dans le coma. En tout cas j'en avais conscience c'est juste que parfois je l'oubliais comme si je m'enfonçais toujours plus profondément dans un épais brouillard.

Le gamin poke ma joue, me demande si je suis vraiment là et je me contente de le fixer sans un mot. Le regard qui traduit clairement "ne recommence pas". Je ne suis pas un phénomène de foire ectoplasmique qu'on peut tripoter. Il pose néanmoins une question intéressante à la frangine. Est-ce que je suis mort? Pour le coup la réponse m'intéresse aussi. Je croise les bras, attendant la réponse. Je me trouve calme pour un potentiel mort mais je l'ai dit, je me sens comme anesthésié.

— Réussi qu-

Je suis interrompu par Jasper qui me saute dans les bras. Bordel il est aussi bouillant qu'une plaque de four. C'est franchement pas agréable. Je vais pour le repousser mais il se recule. Bien. Je croise les bras. Tentative veine pour me prémunir des humeurs câlineuses de Jasper.

— Pas vraiment, j'étais entouré de belles nanas, sur une plage paradisiaque et ensuite, pouf, je me retrouve là en face de ta tronche d'ahuri.

Désinvolte, je finis malgré tout par afficher un sourire en coin car c'est toujours drôle de se payer la tête de Jasper. Bon et surtout, je me vois mal lui raconter mes petits tourments. On va pas le faire flipper pour rien, non plus. Pas tout de suite... Quoi que...

— Bon et sinon... je peux savoir pourquoi tu as invoqué le diable? Pas pour faire des câlins j'espère.

J'aimerais bien prendre une voix d'outre-tombe mais je ne sais pas faire.

 

Pikabouh !

Cette histoire d'invocation diabolique, ça le fait rire mais je le vois douter un instant. C'est à ce moment précis que je suis partagé entre l'envie de rire et celle de le secouer comme un prunier. Qu'est-ce qu'il a bien pu faire comme connerie, encore? Quant à savoir de quoi je me souviens, je me frotte la barbe en prenant le temps d'y réfléchir.

— Je me souviens vaguement de l'attaque. Oh et je me souviens avoir été dans le coma, si c'est ça qui t'intéresse. Combien de temps par contre j'en sais rien mais à te voir, je dirais pas bien longtemps.

Et maintenant je suis quoi? Un fantôme? De ce qu'il raconte je suis toujours dans le coma. Ce qui n'est pas normal. Pourquoi la donne a autant changé? Sérieusement dans quoi il s'est embarqué? Mes sourcils se froncent quand il fait son bruit de pet. Ouais ouais, d'ordinaire j'éclate de rire comme un débile sauf que la situation s'y prête moyen.

Le voilà qu'il commence à tourner comme un lion en cage. Ah. Le cerveau de Jasper tourne à plein régime. J'imagine sans difficulté la fumé sortir de son crâne. Immobile, je le regarde se mouver avant de freeze sur une information qu'il a laissé échapper.

— Comment ça mon accident n'était pas du tout naturel? Tu veux dire quoi par là?

Non parce que déjà être un fantôme, c'est pas très normal comme situation. Il va m'annoncer quoi ensuite? Que les loups-garous existent, peut-être? Un peu de sérieux.

 

Pikabouh !

Me mettre assis... il a peut-être raison. Je m'avance jusqu'au canapé et... je passe au travers. Sérieux c'est quoi ce bordel? Le cul par terre mais le corps traversé par ce foutu canapé, je lève les yeux vers Jasper. Putain c'est quoi ce délire? Je me redresse sur mes deux pieds parce que de toute façon pas le choix.

— Quoi Leslie?

Pas besoin de demander si elle a survécu à l'attaque. J'ai entendu sa voix à travers le téléphone. Alors quoi? QUOI? Jasper qu'il se fout de ma gueule. Il commence à parler de loup-garou. Un loup-garou? Sérieusement? Je le regarde, je le laisse s'expliquer, essayant de paraître le plus neutre possible. En fait je le regarde comme un con, silencieux. Qu'est-ce qu'il me baragouine, franchement? Il a fumé la moquette? Il a pris ses romans graphiques pour la réalité?

— Okay...

Je peux dire quoi d'autre, sérieusement? On a failli me débrancher. Putain ça me trou un second anus, ça. Je tente de rassembler mes esprits... étrange expression maintenant que je suis devenue un ectoplasme. Bref. Je tente de réfléchir à tout ça et je m'installer sur le canapé. C'est un réflexe. Sauf qu'encore une fois je me retrouve le cul par terre, traversé par le canapé. Fais chier. Quoi que non. Le popo et le pipi c'est fini pour moi.

— Et donc t'as fait quoi?

Oui oui. Je reste le cul par terre. Traversé par le canapé. Venez pas me faire chier.

 

Pikabouh !

Putain et il se fout de ma gueule en plus! Les yeux rivés sur lui, le visage aussi fermé que blasé, j'attend que son hilarité se calme... sauf que je peux toujours attendre visiblement. Ce n'est pas drôle, d'accord?! Je ne peux même pas me foutre assis. Du coup c'est quoi le deal? Je suis condamné à rester constamment debout? Sauf si je reste le cul par terre? En même temps ça ne fait pas grande différence puisque je ne ressens aucun inconfort particulier.

Il m'explique son truc avec le gars vaudoo sauf qu'au final ça ne m'avance toujours pas plus. Je le laisse jouer avec sa foutu balle et se vautrer sur sa chaise. Il est hilare mais pas moi. Je me tente de le fixer, toujours le cul par terre et la tête qui dépasse du canapé. Sérieusement? Voilà ce qu'exprime mon faciès.

Je suis à l'état de fantôme devant lui. Il a convoqué une magie vaudoo. Il m'annonce que les lycans existent. Je peux putain de plus m'installer sur le canapé et lui il se fend la poire? Merde alors! J'aimais bien m'étaler sur le sofa.

— Jasper quand même qu'il y'a un service après-vente. Parce que là, JC pas si t'as remarqué mais je suis toujours dans le coma.

C'est devenu naturel pour nous, de glisser dans nos phrases nos prénoms. Même en situation sérieuse ça sort tout seul. C'est comme une bonne grosse chiasse, ça ne se contrôle pas.