On ne sait jamais, sur un malentendu ça peut fonctionner... | feat Andras

Mon crâne. J'ai mal. Tellement mal. J'ai cette impression désagréable qu'un chantier de construction tourne à plein régime à l'intérieur. Le marteau piqueur creuse toujours plus loin dans mon cervelet et les ouvriers frappent à l'unisson contre chacun de mes neurones. C'est quoi ce bordel, sérieusement? J'ouvre les yeux. Enfin j'essaie mais c'est laborieux. Je cligne des paupières et à chaque fois que j'entrevois quelque chose c'est flou. J'insiste. Je me force à garder mes deux lucarnes ouvertes. Je les frottes sauf qu'un râle d'agonie s'échappe d'entre mes lèvres. Je suis courbaturée de partout comme si j'avais swingué la nuit entière. Et ma bouche. J'ai l'impression d'avoir un rat crevé à l'intérieur tellement je pue de la gueule. Puis ma langue. Aussi pâteuse qu'un... okay. Dans l'immédiat je n'ai aucun point comparatif parce que là je bogue totalement. Ce plafond. Ce n'est pas le mien.

Je panique. Une soudaine montée d'adrénaline termine de me réveiller complètement. Je me redresse sur mon séant en gardant précieusement la couverture contre moi. Je ne veux pas vérifier si oui ou non je suis nue en-dessous. Pitié. Faites que je ne sois pas à poil. J'inspire. J'expire. La chambre pue le luxe. Ce n'est pas dans mes moyens. Merde. Où suis-je?  

Y a des chose qui se font pas, dans la vie. A commencer par... ça. J'avise la petite masse dans les draps froissés qui se dandine de gauche à droite sans jamais ouvrir une paupière. Une vraie marmotte, celle-là. Je sirote mon café en faisant le tour des lieux. Un petit appartement de 100 mètres carrés en plein centre ville de Lyon, lumineux... Pas trop mal. L'humain qui m'a revendu ce petit cocon contre un vœu a globalement obtenu satisfaction. Presque, parce que les gains matériels comme celui-ci me lassent relativement vite, en vérité. J'ai clairement pas que ça à foutre, que de barboter toute la journée à me vautrer dans le luxe. J'ai des dimensions infernales à mettre sans dessous-dessous, des âmes à torturer, des marchés à faire passer. Et on en revient à la sale gosse vautrée dans mes draps à cinq cent balles. Je renifle, inspire, expire, soupire en émettant pleins de petits bruits avec mes lippes et continue mon tour. Y a des pièces plutôt exploitables, à vrai dire. Cette chambre inutile dans le fond qui pourrait me servir de pièce pour un petit BDSM, par exemple...

Je détourne le menton en percevant le râle de la fille.

Pas trop tôt. Je m'adosse contre le mur, attend sagement en sirotant ma boisson chaude et souris malgré-moi. Elle va en faire, une de ces têtes !

Je vais quand même bien la faire poireauter. Lorsque j'estime enfin qu'il est temps de la maltraiter pour de bon. De l'achever proprement. Je sors de ma cachette. L'ouverture large mène droit au salon, un choix douteux selon moi, mais les mortels... Je m'adosse au mur, avale une nouvelle gorgée de caféine et me pavane dans mon peignoir Japonais.

« - Coucou chérie, bien dormi ? »

Ça, c'est pour m'avoir invoqué pour rien, grognasse !  

J'en suis encore à rassembler mes esprits quand j'entends une voix masculine. Merde. Je sursaute comme un rat en panique et lève mes prunelles en direction de la voix. Ché... chérie? Je déglutis. Mauvaise idée. La nausée me gagne. Bordel! D'habitude je ne bois jamais et là je me retrouve avec une gueule de bois immonde. Mes yeux s'ouvrent grand comme des soucoupes alors que je détaille l'homme en peignoir japonais. Il est sérieux, là? C'est qui ce gars? La panique commence à me gagner. Je n'ai pas... j'aurais pas... Oh la tuile. Perdre ma virginité avec un vieux passe encore. Mais je me souviens de rien! On s'est protégé au moins?!

— Oh non, que je couine.

C'est un cauchemar. Ce n'est juste pas possible. J'inspire. J'expire. Putain que je pue de la gueule. Je glisse mes doigts dans ma tignasse pour les ramener en arrière. En tout cas j'essaie mais y'a plein de nœud. Aïe. C'est douloureux. Mon crane en entier me hurle sa complainte. Finalement j'ose regarder sous la couette. Je suis habillée. Débraillée, certes, mais habillée.

— Vous êtes qui, bordel?

Je questionne un brin agressive. Parce que merde, c'est quoi cette histoire?! Est-ce qu'il s'agit d'un vieux pervers qui m'a ramassé au bord de la route? Oh pitié non. Et si on l'avait fait et qu'il m'avait rhabillé ensuite?! Je quitte le lit. En tout cas j'essaie maladroitement. Je me sens faible en dépit de cette montée d'adrénaline. Pire encore, mon estomac semble vouloir jouer les montagnes russes. C'est à quatre pattes que je quitte le lit, me vautrant sur le sol comme une grosse baleine échouée.

— Et qu'est-ce que je fais chez-vous, d'abord? 

Je prend appui sur la commode pour m'aider à me relever. Premier haut le cœur. Je ravale ma bile. Et si il décide de me hacher menue?

Et maintenant le clou du spectacle. La tête sidérée de celle qui devrait être ma cliente. Je la fixe après l'avoir saluée, riant de son expression hallucinée. Un vrai régale. Jusqu'à ce qu'elle m'agresse, ce qui me pousse à me vautrer sur le lit sans utiliser mes pouvoirs, allongé sur le flanc. Je la fixe, tout mon poids posé sur mon coude et la tasse toujours à la main.

Je vais attendre encore un peu avant de lui faire comprendre qui je suis réellement. Ou plutôt ce que je suis.

« - Je te trouve un peu culotté !  Je l’engueule vivement en sirotant une gorgée de ma boisson, avant de grimacer vivement en fixant le tourbillon noir encore fumant.

Je sais même pas pourquoi je m'entête à avaler ce jus de chaussette. Je jette la tasse derrière mon dos, sans même m'inquiéter du bruit de verre brisé ou du café qui pourrait tâcher le tapis.  J'en commanderai un autre, je connais un bon fournisseur qui me doit un siècle de mobiliers de luxe à l’œil.

- Tu poses les mauvaises questions, Raegan, Je soupire longuement, fixant mes ongles avant de lui jeter un regard en biais. On t'a déjà déconseillé de boire ? Non, sérieusement... Faudrait songer à filer chez les alcooliques anonymes. Juste pour te passer l'envie de recommencer. Je l'observe alors qu'elle quitte le lit, pour finalement finir à quatre pattes.

Bah voilà, qu'est-ce que je disais.

Je me dandine pour arriver au bord de la couche, laissant ma tête dépasser alors que je lui jette un regard amusé. C'est assez drôle de la voir comme ça. Voir jouissif. Je me plais à me venger salement de son sale tour de la veille.

- T'étais un désastre, hier soir.

Et c'est tout ce que je me contente de répondre. Je soupire en calant mon menton sur mes mains, toujours à l'horizontale dans les draps froissés.

- Tu te souviens de rien ? Pourtant tu t'es pas gênée pour me sauter dessus, je m'esclaffe avec un sourire de parfait connard étalé sur ma gueule barbue.

Je cale mes orbes sur sa silhouette étalée, lui faisant mes plus beaux yeux de biche. Elle n'est pas assez au bout de sa vie à mon goût. Je suis coincé là avec elle tant que notre affaire ne sera pas conclue, ce qui m'agace prodigieusement. C'est que les boucles temporelles qu'on m'accorde pour être à jour sur mon planning sont limitées, quand même. Je soupire finalement avec d'achever la jeune femme à peine sortie de l’adolescence.

- T'avais le diable au corps. »

Ah !  

C'est un cauchemar je vais me réveiller. C'est un cauchemar je vais me réveiller. C'est un cauchemar je vais me réveiller. Bordel pourquoi je suis toujours là? Pourquoi est-ce que tout semble si... vrai?! Ma gueule de bois. Les décors. Le vioc. Tout. Tout me paraît réel malgré la situation complètement loufoque et avouons-le, improbable. Juste... non. Ce n'est pas possible. Hors de question d'avoir perdu ma virginité de cette manière! Je m'y refuse! Non! Je couine de plus belle. Un désastre, qu'il ose me dire? Sérieusement? Le mot "compassion" on ne te l'a jamais appris, connard! Bien que je le pense très fort il est évident que jamais je n'oserais dire un truc pareil à quelqu'un. Parce que ça se fait pas, c'est pas poli. Puis si c'est un dégénéré, j'aimerais autant ne pas trop le contrarier.

— Je... non, que je bafouille.

Pourtant j'essaie de rassembler mes souvenirs mais rien ne me vient. Est-ce qu'on s'est protégés? Est-ce que j'étais bien ivre et pas droguée? Et lui? Il était sobre? Si c'est le cas alors il a purement et simplement profité de la situation. La nausée me gagne mais cette fois, ce n'est pas une conséquence de ma gueule de bois. Mes prunelles horrifiées se fixent sur sa trogne. Sérieusement, c'est qui ce gars, avec son pyjama japonais? Et c'est quoi cette dégaine? Il s'est vu quand il s'est traîné sur le lit? Fallait vraiment que je perde ma virginité avec un excentrique doublé d'un bon gros connard?! Oh bon sang et si il a prit des photos? Des vidéos? Merde! Ma carrière! Quand je vais devenir célèbre, ça va ressortir! Et ça va tout foutre par terre! Pire encore il me fera chanter encore et encore! Oh non!

— Non, non, non, non, que je chouine.

La la la la la. I can't control myself, don't know who I've been. And who is this monster wearing my skin? Dans ma tête, je me repasse la chanson sur laquelle je bosse depuis des jours. Je ne veux plus l'écouter. Je ne veux plus rien entendre. A movie in black and white. When will it end? 'Cause every time I scream no one hears me. Je veux rentrer chez moi. A Paris. Je veux retrouver ma grande sœur. Je me traîne à quatre pattes hors de la chambre. Le sol tangue sous ma carcasse c'est horrible. J'ai l'impression d'être sur un bateau et généralement je le vis très mal. It feels like I'm paralyzed, and I can't escape from the prison I'm living in.

— Vous existez pas, vous existez pas.

Je la vois se traîner au sol et marmonner des paroles inéligibles. Je suis même pas sûr que la gamine ait conscience du fait qu'elle fredonne. C'est risible. Et tellement drôle à la fois. J'adore la voir paniquer. Je le sens. J'en frétille. Sa terreur apaise légèrement ma rage d'être sur le banc de touche depuis plus de douze heures et je ricane alors qu'elle continue d'aller … Où ça d'ailleurs ? Je la suis, juste derrière, en soupirant.

« - Bon, arrête ton cirque et redresse-toi un peu, bon sang ! Je l'engueule en avançant finalement vers elle pour la soulever par le col et l'obliger à se relever.

Les mortels et leur manque de dignité, ça me trou tous les anus que je possède.

- Ressaisis-toi, tu veux ? Je gronde en resserrant mon peignoir pour filer jusqu'à la cuisine. Je pose ma tasse sur la grande table et avise les murs peint d'un bleu électrique. Les placards noirs et les différentes plantes vertes.

Je tourne les talons, claque des doigts et balance mon index vers l'un des tabourets qui glisse en arrière pour lui faire signe de s'asseoir, avant de fouiner un peu partout pour faire à bouffer. De quoi lui faire comprendre que non, j'suis pas un de ces connards d'humains. Ce serait bien qu'elle se souvienne de sa petite boulette de la veille. Je me tourne vers la cuisine et soupire. Heureusement qu'une femme d'entretien passe, sinon ce frigo sentirait clairement pas la rose. J'en sors trois œufs et une plaquette de beurre et attaque une omelette brouillée. Les humains adorent la bouffe, ça délie leurs langues. Je casse un œuf dans un bol, puis les deux autres, avant de mélanger le tout avec des herbes pour tout fourrer dans la poêle.

L'odeur remonte et me file la gerbe.
Ça manque de souffre.

- Bon, de quoi tu te souviens, gamine ? » Je demande en mélangeant les jaunes et le blanc pour former une légère pâte brouillée.

Et elle a plutôt intérêt à me répondre autre chose que rien.  

Me ressaisir? Il n'a pas tord. Je dois me reprendre parce que là ça ne va pas du tout. Vraiment pas. J'inspire. J'expire. Je le suis dans la cuisine car de toute manière je ne sais pas où aller dans l'immédiat. Partir? C'est une possibilité qui me laisserait en revanche sans la moindre réponse. Alors je prend mon mal en patience. Surprise par le tabouret autonome je lâche un petit cri apeuré. Merde. Cet homme n'est pas humain. Merde. Qu'est-ce qui s'est passé cette nuit? Je déglutis et me met assise. Pas à l'aise, je triture mes doigts pendant qu'il prépare une omelette. Je dois bien avouer que l'odeur me donne l'eau à la bouche mais depuis toute petite on m'a interdit d'accepter les bonbons des étrangers. Alors une omelette... Focus Raegan! Il me demande de quoi je me souviens et je dois bien avouer que c'est le blackout total. En pleine réflexion je fronce mes sourcils tout en entortillant une mèche de cheveux. Je me mordille la lèvre, je la maltraite mais ça ne m'aide pas d'avantage. C'est le flou total. Pire encore. L'avantage du flou c'est que généralement on distingue des formes ou des couleurs. Hors là... c'est le néant.

— Rien, je me souviens de rien.

C'est l'horreur. La catastrophe! Je déteste cette impression. J'ai le sentiment que ma vie entière échappe à mon contrôle. Techniquement c'est le cas avec cette histoire de potentielle etc mais là, c'est encore pire! Je ne bois jamais, ou presque. Car je déteste perdre le contrôle de mes facultés. Discrètement je me tortille sur mon siège. C'est con mais j'essaie de savoir si j'ai mal à certains endroits de mon anatomie. De ce que je sais, la première fois c'est douloureux. Mais douloureux comment et à quel point? Est-ce que je suis censée garder la moindre séquelle? A moins que finalement, il ne ce soit rien passé?

L'odeur de la bouffe me donne faim. Oh ça oui... mais étrangement ça n'aide pas mes nausées matinales. Je déglutis et me concentre. Tout vas bien se passer. Pourtant je me sens pâlir... okay. Non, ça ne va pas bien se passer. Précipitamment je plaque une main contre ma bouche et cours sans savoir où se trouve cette satané salle de bain. Finalement je reviens tel un boomerang et fonce tête baissée jusqu'à l'évier.

Beuargh.

Et si vous voulez tout savoir, le bruit est aussi horrible que l'odeur.

Y a un œuf qui dérape et qui se brise dans ma pogne au moment où cette petite morue de mes deux ose répondre « rien ». Je lui lance un regard courroucé en balançant l’œuf dans le bol, essuie mes mains et me racle la gorge. Je m'apprête à l'enguirlander sévère. Oh oui. Je vais lui faire passer l'envie de me prendre pour un con. Je suis coincé avec cette sale mioche depuis des heures et madame refuse de décuver. Je m'apprête à lui prendre la tête à deux mains pour faire usage d'un tour de passe passe, alors qu'elle change du tout au tout et pâlit considérablement. Oh non. Tout mais pas ça. Ce qui est dans un humain doit y rester, sauf si j'y suis pour quelque chose.

« - Raegan, retiens-le ! Tu le retiens. Tu … Non, Ra- PAS DANS LE LAVAB-

OH putain.

Trop tard, la brune s'est penchée dans le dit lavabo où trempait tranquillement ma veste de costume. Une recette maison qui ne supporte aucun autre … agent répulsif contrariant. C'est pas grave, ça fera rien que la seconde fois qu'elle me le dégueulasse, la garce.

Et forcément, elle va me dire qu'elle a oublié.

- C'était un costume Italien... je grogne derrière elle.

Tellement prêt qu'elle se cognera à moi en se retournant. Je renifle, croise les bras et opine du chef de manière spasmodique. Bien, soit.

- Si t'es déjà enceinte, c'est pas de moi ! Je lâche avec humeur.

Rien que pour la faire criser. Elle le mérite doublement.

- Nettoie-ça toi-même où je t'assure que ma patience va passer de moins un à moins mille. Et moins mille, ça se passe huit cent pieds sous terre avec moi tenant une cravache et toi attachée à un brancard de l'enfer.

Mes yeux virent au rouge, littéralement. Ma voix déraille et tourne au rauque démoniaque. Je lui fais un joli remake de film d'horreur, rien que pour le plaisir. Elle a pas fini de vomir, la mioche.

- Maintenant tu vas me faire le plaisir d'agiter tes petites neurones et tu vas te souvenir de ce que tu voulais me demander, d'accord ?

Je lâche un sourire mauvais, le regard toujours rouge sanguinolent. Je lui fais même le coup de l'image qui blitz.

Andras humain.


Andras humain.

.

Et ça continue, j'arrête pas jusqu'à qu'elle craque. L'illusion capote à toute vitesse et j'hurle en cœur avec elle avant d'exploser de rire. J'en reviens à l'illusion parfaite de ce petit gars un peu bedonnant mais tellement charmant, essuyant une larme de souffre qui coule le long de ma joue.

- Tu devrais voir ta tête !

E reprends mon souffle et me calme avec difficulté. Au moins, ça a eu le don de me détendre un coup.

- Bon... Non, sérieux Ziegler, fais bosser tes méninges. J'ai une pédicure qui m'attend avec une petite démone mui caliente, si tu vois ce que je veux dire. »

Je suis désolée. Je suis désolée. Je suis désolée. Je voulais vraiment pas vomir dans le lavabo mais je n'avais nul part où évacuer! Je connais pas cet appartement. Elle est où la salle de bain, hein?! Puis quelle idée de laver son costume dans l'évier de la cuisine. Il n'a pas une machine à laver comme tout le monde? Un pressing où aller le déposer? J'avise le massacre. Oups. Même si ce gars est un connard condescendant c'est pas cool. Je déglutis et me retourne. Il est tellement proche que je me cogne contre sa carcasse.

Alerte. Alerte. Alerte.

Il est trop proche. Il empiète sur mon espace personnel. C'est déjà gênant à la base mais ça l'est d'autant plus en cette matinée poisseuse. J'empeste de partout. Je veux qu'on me laisse tranquille. Je veux me doucher. Je veux partir!

Quoi?!

— Quoi? Comment ça... je... on a pas...

Si?! On l'a fait ou pas? Je vais encore vomir. Je crois. Non. Peut-être pas. Je serre les lèvres et je le fixe sans broncher. J'ai un problème avec l'autorité. J'ai tendance à trop obéir. Si on me demande quelque chose généralement je m'exécute. Sauf que ça me tente pas vraiment de nettoyer mon vomi. En même temps, je relativise. Je nettoyais souvent après maman et c'était franchement pas mieux. Sauf que maman bah elle avait pas les yeux rouges. Pas comme l'homme en face de moi. Je déglutis encore une fois. Je crois que la bile commence à remonter le long de mon gosier. Il est pas humain! Il est pas humain bordel! Il va m'éviscérer, c'est ça? Ou alors il m'a mise en cloque pour ses noirs dessins? Oh putain. Non! J'espère pas!  

Et ça s'empire. Oh putain.

Oh putain!

OH PUTAIN!!!

Mes genoux claquent. Un froid intense m'investi et je sens mes poumons se gonfler avant d'hurler. Il hurle aussi. Putain! Il rit maintenant. Je suis perdue. J'ai toujours autant mal à la gorge. Et à mes cordes vocales surtout. Demain j'ai un concert. C'est pas le moment de déconner.

Il jacasse et moi je recule en marche arrière. Je recule jusqu'à tout simplement prendre mes jambes à mon cou. Je cours jusqu'à la sortie et je m'acharne contre la porte d'entrée mais elle refuse de s'ouvrir.

— Je veux partir! Putain. Laissez-moi partir!

Je beugle. Je tambourine contre la porte. Je m'agite et je pleurs. C'est quoi cet enfer, sérieusement? Je me souviens de rien! De rien! Je... je me souviens de rien? Contre toute attente je commence à me calmer. Bien que ma main soit toujours sur la poignée de porte, j'ai arrête de malmener la pauvre planche de bois.

— C'est ça, que je souffle. Vous êtes l'espèce de génie de la lampe.

Je questionne en me retournant. Je renifle encore parce que j'ai le nez qui coule presque autant que mes yeux. Même si là ça se tarit.

— Je voulais effacer la mémoire de quelqu'un. Enfin je voulais m'effacer des souvenirs de quelqu'un. C'est ça!

Elle hurle. Pleure et se carapate. J'inspire l'air et ce chaos avec un air de satisfaction profonde. Y a rien de tel pour bien commencer la journée ! Aaahhh, les humains. Cons, mais tellement distrayants. J'ai beau dire, sans eux, l'existence serait bien morne. C'est quand même mon fond de commerce. Je la suis tranquillement alors qu'elle s'acharne sur la porte. Pff, débutante. Je laisse que les fenêtres ouvertes. Et on est au dernier étage. Alors … Soit c'est moi, soit c'est le suicide. Dans tous les cas, j'y gagne. Je lui adresse un sourire large et sans dents alors qu'elle se tourne, les joues embuées de son petit jus lacrymale.

« - Eh bah voilàààààà, je lance d'une voix tonitruante, soulagé qu'elle utilise enfin son petit cerveau.

Je soupire, fait mine de m'essuyer le front et lâche un « pfiouh » théâtrale.

- Je pensais qu'on y arriverait jamais.

Et j'aurai été coincé avec elle à lui pourrir le crâne pour qu'elle se tue et me laisse enfin filer. J'ai pas que ça à faire, alors bon. Je frappe dans mes mains et les frotte avant de me figer. Je lève un indexe, juste pour préciser un détail.

- Par contre, génie de la lampe … Mouais. Démon infernal, je préfère quand même, je fais avec un petit sourire, les yeux toujours rougies.

Histoire qu'elle réalise bien qui elle a convoqué. Eh oui cocotte, t'as fait une jolie boulette. Et je voudrai pas que les humains s'attendent à un truc bleue avec une espèce de bite à la place des pieds. Les rumeurs, ça file vite. C'est comme les sabots et les cornes. Un coup de travers et on passe pour le diable. Un concept vraiment débile. Je croise les bras et l'observe longuement, attendant qu'elle daigne se décider.

- Bon, moustique, tu m'as assez fait perdre mon temps alors allume la cinquième et dis-moi ce que tu veux. Et surtout ce que tu vas me donner en échange de mes bons et loyaux services. »

Plus le temps de niaiser.

Génie de la lampe. Démon infernal. Putain que là j'en ai clairement rien à foutre. Ce n'est qu'un détail. Ou pas. Démon infernal. Putain de merde! J'ai invoqué un démon infernal! Quelle idiote! J'inspire. J'expire. J'ai agis sous l'emprise de l'alcool néanmoins, ça va bien faire des semaines que je cogite et y songe. Mon plan est insensé et idiot. Je le sais et pourtant... quel autre choix s'offre à moi, sincèrement?

— Je veux...

Les mots se meurent au bout de mes lèvres. C'est concret, maintenant. Je vais le faire, vraiment et ça m'écrase la cage thoracique. J'inspire une nouvelle fois pour reprendre contenance. Je sens son impatience mais il peut bien attendre encore quelques secondes.

— Avant de venir à Lyon, je vivais à Paris et j'étais fiancée. Ce que je veux... c'est que vous altérez sa mémoire pour qu'il n'ai aucun souvenir de nous. Que je ne sois qu'une... connaissance. Qu'il puisse enfin tourner la page et passer à autre chose.

Je n'ai que rarement eu ma grande sœur au téléphone depuis mon départ mais... de ce que je sais, mon ancien fiancé vit très mal mon départ, persuadé d'en être la cause. N'étant pas en droit de lui dire la vérité je me dois au moins de m'assurer de son bonheur futur.

— En échange je vous donne mon don de potentielle. J'ai cru entendre que c'était un truc plutôt précieux. Je vous le donne en échange de vos services.

En étant une potentielle, il m'est impossible de revenir sur Paris pour mener une vie normale. On me l'a clairement fait comprendre. La mission avant tout et le Conseil n'approuve pas les éléments récalcitrants. Néanmoins, en sacrifiant ce don je ne sais pas à quoi je m'expose. Dans mon intérêt, je vais dissimuler cette transaction... ce qui dans tout les cas exclu un quelconque retour à ma vie normale.