Sweet fantasy (ft. Savannah)

Je ne sais pas depuis combien de temps je me tiens devant le miroir en pieds de ma chambre. Sur mon lit se trouve un tas comportant à peu près toutes les fringues que je possède. Je dois partir dans une quinzaine de minutes et je suis toujours en sous-vêtements. Si je me trouve en panique vestimentaire, c’est parce que je suis sur le point de retrouver Savannah, alias mon fantasme ultime sur cette terre. J’avoue que lorsqu’elle m’a donné son numéro de téléphone et manifesté son enthousiasme pour assister à une démonstration, j’ai failli bondir partout. D’ailleurs je l’ai fait, mais seulement après qu’elle soit partie. Les jours suivants mon enthousiasme était un peu retombé pour laisser place à de l’inquiétude: et si elle n’avait dit ça que pour être polie ? J’avais passé de longues heures à me torturer l’esprit. J’avais presque envie de l’appeler, mais que dire ? C’était une vraie torture ! Je déteste le téléphone ! Je suis sûre que tout était bien plus simple au temps où les gens s’écrivaient des lettres.

Et puis, on m’avait appelé pour un autre job, et j’avais sauté sur l’occasion pour passé un coup de fil à la belle brune. J’avais beau me dire qu’au pire elle refuserait et tant pis, je n’en menais pas large, et j’avais l’impression de transpirer des litres de sueur en entendant sa voix au téléphone. Sa voix si sexy… Alors oui, encore une fois, je sais bien que les chances qu’elle puisse s’intéresser à moi de cette façon sont quasi inexistantes, mais on a bien le droit de rêver… Et croyez-moi, je rêve !

Et elle a dit oui ! Mais tout ceci ne règle pas mon problème de fringue. J’aimerais bien qu’elle puisse me voir autrement que dans mon accoutrement ridicule de la dernière fois. Evidemment, je vais être obligée de porter ce déguisement, mais j’ai prévu un plan: une fois la séance finie, je l’invite à prendre un verre pour la remercier de m’avoir assistée. Là, je me débarrasse de mes foulard et tadaaaa je révèle la bombe que j’étais en réalité depuis le début. Un peu comme dans les films américains où la fille que tout le monde croyait moche se révèle être Kate Moss en personne après une bonne séance de relooking.

Bon ça c’est la théorie, parce que dans la pratique ça risque d’être un peu plus compliqué. Déjà c’est difficile de se sentir sexy quand on boite, et malheureusement ma stupide jambe est particulièrement douloureuse aujourd’hui. C’est d’ailleurs de plus en plus fréquent ces derniers temps, malgré les antidouleurs et je dois dire que ça commence à m’inquiéter un peu. Ceci dit je préfère me gaver de cachetons plutôt que me pointer avec ma béquille. Voyant comme l’heure avance, je me décide finalement pour mon pantalon en simili cuir et un pull légèrement trop court pour ma taille, avant d’enfiler par dessus mes multiples foulards et bijoux clinquants. Puis j’attrape mon sac et me précipite pour prendre le bus, songeant avec amertume que c’est vraiment con d’avoir eu mon permis à 17 ans au Pays de Galles mais pas de voiture pour en profiter. Il faut absolument que je me paie un scooter dès que j’aurai l’argent.

Quand j’arrive au point de rendez-vous, à quelques mètres de la maison de ma cliente, Savannah n’est toujours pas là. Bon en même temps, je suis là avec dix minutes d’avance. Je crois que si Jude le savait, il aurait une crise cardiaque, c’est bien la première fois que je ne suis pas en retard. Il fait déjà presque nuit. J’espère qu’elle va venir. Appuyée contre un muret, j’attends avec une certaine anxiété avant de voir enfin la silhouette tant attendue se dessiner à l’horizon. My God elle est encore plus belle que dans mon souvenir… D’un bon je me lève et je lui fais un vigoureux signe de la main, avant de me raviser. Je dois avoir l’air complètement ridicule, elle va me prendre pour une imbécile…

 

Sceptique aux paroles de la blonde, tu hoches la tête tout en remplissant sa flûte de champagne. Quand il s'agit de payer, elle a toujours une bonne excuse pour se défiler. Tu le sais, tu as déjà vécu avec elle. Pourtant, tu décides de rester calme, affichant un sourire entendu.

— Je te crois Roxane. Les nains voleurs de porte-monnaie, c'est courant au premier arrondissement de Lyon. Un véritable fléau.

Tu ne le crois pas et elle le sait. Pourtant ça ne la dérange pas. Confortablement installée sur ton canapé, elle boit sa coupe de champagne et tu l'imites. D'une manière ou d'une autre, tu récupéreras ton fric. Consultant l'heure affichée sur l'horloge murale, tu siffles ton verre et quitte le canapé.

— T'es pressée? questionne la blonde.
— Un peu, j'ai rendez-vous avec une charmante demoiselle, que tu réponds en enfilant ta veste en cuir.
— Ah, je vois. T'inquiètes pas, je termine mon verre et je quitte l'appartement.

Elle ponctue sa phrase d'un clin d’œil qui veut tout dire et toi, tu ris. Ah, Roxane, si tu savais de quelle demoiselle il s'agit, tu ne serais pas si prompt à fourrer Savannah entre ses cuisses.


Tu n'es pas en retard mais tu n'es pas en avance pour autant, ce qui ne te ressemble pas. Tu es du genre à venir en avance, ne supportant que moyennement les personnes retardataires. Une fois à l'adresse donnée par Dora, tu vois cette dernière bondir et agiter la main. Malgré toi, un sourire attendrie s'esquisse sur tes lèvres dénuées de maquillage. Comme souvent, tu préfères t'occuper de ton teint et miser sur un smooky-eyes impeccable. La gamine ne manque pas d'énergie malgré l'heure tardive. Enfin, tardive, tout est relative.

— Bonsoir Dora. J'espère que tu ne m'attends pas depuis longtemps.

Par automatisme et aussi parce que c'est la coutume en France, tu lui fais la bise. Tu ne sais jamais si c'est une ou deux bises alors dans le doute, tu en fais deux. Autant tu peux mémoriser les 14 premiers chiffres après pie mais ça...

— Et sinon, dis-moi tout. C'est quoi le programme de ce soir?


 

Enfin elle arrive ! Et moi le seul truc que je trouve à faire, c’est la saluer comme une débile mentale. Elle doit me trouver pathétique. Pourquoi je ne peux pas me comporter normalement devant cette femme ? C’est plus fort que moi, à chaque fois que je la vois c’est comme si mon cerveau partait en vacances. Et le pire c’est que je ne la connais même pas au fond, je sais juste qu’elle est canon et a l’air plutôt cool, mais à part ça je ne sais rien de sa vie. Pour ce que j’en sais, elle pourrait être une créature démoniaque. D’ailleurs elle est tellement belle que je ne serais même pas surprise en fait.

Bref revenons à la réalité. Pour compenser je m’appuie sur le muret d’une manière qui semble nonchalante, du moins je l’espère.

« Oh non, je viens d’arriver. »

Hors de question de lui avouer que je suis venue en avance exprès pour ne pas la faire attendre. Je me sens déjà moi-même complètement nulle de l’avoir fait. Et c’est alors que… elle me fait la bise. Pour moi qui suis née et ai grandi au Pays de Galles, c’est un contact pour le moins intime et inhabituel. J’oublie tout le temps que c’est la coutume en France, et d’ailleurs je ne l’applique pas vraiment. D’habitude, je trouve ça bizarre, mais j’avoue que je ne m’attendais pas à ce que ça puisse être si… agréable. Oh non, j’espère que je ne rougis pas. Stupide teint britannique ! Il faut absolument que je détourne son attention pour qu’elle ne le remarque pas. Je tente de reconnecter les deux neurones qui me restent.

« Ahem, on va s’occuper de la maison d’une Madame Blanchard. » Je sors de ma sacoche les notes que j’ai pris à son sujet pour me redonner une certaine contenance. « Elle a emménagé il y a trois semaines et elle a l’impression qu’un esprit hante les lieux. Apparemment les étagères de la cuisine n’arrêtent pas de tomber. »

Je ne suis vraiment pas sûre que ce soit l’oeuvre d’un esprit, mais comme elle a l’air de bien payer je n’ai pas voulu la contredire.
Tout en expliquant la situation à Savannah je l’invite à m’accompagner jusqu’à la maison en question, tout en faisant un effort surhumain pour ne pas boiter. Stupide jambe ! Je sonne à la porte.

« Surtout ne rigole pas pendant la séance. Et si tu as un fou rire, tu n’auras qu’à dire que tu es possédée par un esprit. »

J’ai beau la trouver absolument canon, je prends aussi mon travail très au sérieux, enfin surtout l’argent qu’on me donne pour ça. C’est alors que la porte s’ouvre sur une femme d’une soixantaine d’année. Dès l’instant où elle me voit, son expression change et elle me sert la main chaleureusement.

« Vous devez être Madame Sybilla !! Oh entrez, soyez les bienvenues ! »

Elle nous entraine directement à l’intérieur et s’adresse de nouveau à moi.

« Pardonnez-moi, je pensais que vous seriez plus… plus âgée. »

Je prends mon air le plus solennel et mon accent le plus slave, tout en faisant de grands gestes.

« Vous savez, l’âge imporrrte peu lorrrsqu’on a le don ! » J’indique ensuite Savannah. « Je vous prrrésonte mon assistonte… Natalia ! »

La propriétaire des lieux sert également la main de Savannah avant de se tourner de nouveau vers moi.

« Oh bien sûr, toutes mes excuses ! Je vous ai tout expliqué par téléphone. Vous croyez que vous allez y arriver ? »

Je balaie la question d’un geste de la main.

« Bion sûrrr, il n’y a rrrien qui soit horrrs de notrrre porrrtée, n’est-ce pas ? » Je me tourne vers Savannah afin qu’elle confirme mes propos. Puis je sors une multitude de bougies de mon sac et lui en tend la moitié, avec une boite d’allumettes. « Allumons les bougies et disperrrsons-les aux quatrrres coins de la pièce. »

 

Sérieuse malgré ton envie de sourire, tu hoches la tête à ce qu'elle raconte et la suit. Des étagères qui ne cessent de tomber? Tu n'y vois là que trois possibilités : la cliente ment, elle a un très mauvais bricoleur ou alors, il y'a bien quelque chose qui hante les lieux. Dans tout les cas, tu ne comptes pas intervenir. Ce soir, tu es là uniquement en tant qu'observatrice et tu refuses d'empiéter sur les affaires de la jeune Dora. Néanmoins, tu t'inquiètes un peu des risques qu'elle, ainsi que ses client, encourent. Un point sur lequel tu aimerais discuter plus tard autour d'une bière. Avant que la porte ne s'ouvre, tu acquiesces une nouvelle fois ses propos, contenant un petit rire. Jouer la possédée pourrait bien être amusant mais pour peu que tu te loupes dans ton interprétation, c'est la crédibilité de Dora que tu fous en l'air. Autant évité un tel désagrément.  

C'est une petite vieille qui vous ouvre la porte. D'une certaine manière ça ne te surprend qu'à moitié. Les personnes âgées sont plus facile à manipuler et à convaincre. Parfois, tu te demandes si c'est l'approche de leur vieux jours qui les poussent à croire tout et n'importe sur le monde occulte. Comme un ultime réconfort. Sans un mot, discrète, tu suis l'hôte et Dora. Ta curiosité te donne envie d'explorer la maison, chercher des éléments démontrant la présence ou non d'un esprit. Sauf que tu n'es pas équipée et surtout, tu décides de laisser Dora gérer son affaire. D'ailleurs, lorsque celle-ci te désigne comme étant Natalia, c'est un effort surhumain que tu fournis pour ne pas rire et paraître impassible. Par chance, tu as des années d'expériences en la matière. Tu te glisses instantanément dans ton rôle et répond en roumain.

— Fermecat.

Tu saisis alors la main tendu par la propriétaire des lieux, la serrant chaleureusement. Bien qu'elle n'ai probablement pas compris ton "enchanté" ton attitude le laisse supposer. Viens ensuite les choses sérieuses et en parfaite partenaire de crime, tu acquiesces au propos de l'adolescente. Normalement, tu n'es pas censée encourager ce genre de comportement mais dans le fond, en quoi est-ce si mal si cela peut apporter du réconfort à la cliente? Tu espères juste qu'il ne s'agit-là que d'un délire paranoïaque de la petite vieille. Dora entame les choses sérieuses et une fois les bougies en main, tu pars à l'opposée de l'adolescente pour l'aider à disperser et allumer les bougies.  Ta besogne terminée, tu questionnes Dora du regard. Et ensuite? Par automatisme, tu te positionnes au centre de la pièce car c'est ainsi que tu procéderais en cas d'exorcisme. Et si tu te sentais parfaitement détendue il y'a encore quelques secondes, un étrangement sentiment te saisi à présent. A l'affût, tu constates que les flammes des bougies sont anormalement hautes. Mais surtout, tu remarques que l'ampoule située dans la pièce d'à côté commence à grésiller. Tu ne remets pas en doute les talents de Dora mais tu doutes sérieusement qu'elle va jusqu'à s'introduire chez les gens en douce et bidouiller l'électricité lors de ses séances. Sauf qu'encore une fois, tu gardes le silence, attendant de voir la suite. A dire vrai, tu te demandes si Dora constate les même choses que toi ou si elle est trop accaparée par son rôle.


 

Bon au moins Savannah arrive à ne pas rire. C’est que je tiens à ma réputation quand même. En plus je ne suis même pas certaine qu’elle croit à ce genre de choses, du coup le risque est encore plus grand. Je suis à peu près certaine que cette petite vieille a inventé la moitié des choses qu’elle m’a racontées, elle n’a pas l’air tout à fait saine d’esprit, on dirait qu’elle a peur de son ombre. En tout cas, elle semble diablement soulagée de nous voir là. Je présente l’objet de mes fantasmes comme mon assistante et celle-ci confirme avec des paroles absolument incompréhensibles. Ahem, à tes souhaits ? Je lui jette un regard intrigué avant de me tourner de nouveau vers la cliente, imperturbable. Je demande à Savannah de m’aider à allumer les multiples bougies que j’ai prises et qui pour chasser un esprit classique seraient d’une absolue inutilité. Je n’ai pris ni sel, si encens consacré, juste un smudge de sauge classique parce que c’est bien plus impressionnant. Même si ça pue.

Une fois que les bougies sont toutes allumées je me tourne de nouveau vers la vieille femme, à laquelle je m’adresse de mon plus bel accent slave.

« Avont de commoncer, n’oublions pas le paimont ! »

Le cliente semble se ressaisir avec un « Oh oui bien sûr ! » et me tend une liasse de billets que je m’empresse de fourrer dans mon sac. Je prévois évidemment de partager la somme avec Savannah, je ne suis pas un monstre quand même. Je lui fais signe de se reculer et me place au centre, après avoir posé mon sac dans un coin.

J’allume mon smudge à l’une des bougies et il se met aussitôt à dégager une épaisse et odorante fumée. Je promène mon bras, créant des cercles de fumée un peu au hasard, puis ferme les yeux.

« Esprrrit, si tu es là, je t’orrrdonne de te prrrésonter !! »

Evidemment il ne se passe rien du tout. Enfin je le suppose, je ne vois rien. Je mime un violent sursaut et ouvre les yeux.

« Ca y est, il est là ! »

Puis je commence à effectuer ma petite chorégraphie habituel avec des gestes grandiloquents.

« Esprrrit, je t’orrrdonnne de quitter cette maison !!! Je t’orrrdonne de laisser tous ses habitonts en paix !!! »

D’après l’expression sur le visage de ma cliente, je produits mon petit effet. Par contre j’ai l’impression que Savannah fait une drôle de tête et me regarde à peine. Moi qui espérais l’impressionner, c’est un peu loupé. Bon tant pis, je n’ai pas vraiment le temps de me laisser aller à mes états d’âme, ça va bientôt être le bouquet final.

Et c’est alors que je sens quelque chose de vraiment bizarre. Un sentiment de chaleur très désagréable, qui ne m’est, malheureusement que trop familier. Le miroir accroché sur le mur près de moi éclate d’un coup, nous faisant sursauter. Je ne vois rien, mais je le sens passer à travers moi, comme si j’étais traversée de part en part par de l’eau glacée.

« Oh fuck. »

J’ai tout juste le temps de me sentir tomber, mais je sais déjà ce qu’il va se passer. Comme à chaque fois que je fais ce petit cinéma, je m’écroule, je convulse. Sauf que cette fois, c’est bel et bien réel. Je me disais bien que ça faisait trop longtemps.
 

Tu constates avec amusement que Dora ne perd pas le nord. Avant de commencer le rituel elle demande le paiement. C'est bien, c'est professionnel... digne d'une arnaqueuse. Tu dissimules ce petit sourire en coin et reprend bien vite ton sérieux. Cette étrange sensation ne te quitte pas. Elle te prend aux tripes et tu l'ignores, pour le moment en tout cas. Dans cette histoire, tu te positionne dans le rôle de la spectatrice alors tu laisses l'adolescente débuter son rituel factice. Toutefois, tu profites du spectacle qu'elle offre pour examiner les lieux. Evidemment, tu aimerais pouvoir te promener librement, fouiller à ta guise et questionner la propriétaire des lieux mais tu te contentes d'explorer avec les yeux, d'émettre des hypothèses sans avoir le moindre éléments de réponses et surtout, tu te contentes de la pièce centrale où vous vous trouvez.

D'un coup, sans crier gare, le miroir proche de Dora éclate. Surprise, tu sursautes comme toutes les autres personnes présentes dans les lieux. Tu ne peux nier que ce genre de manifestation est impressionnante pour les non-initié. Même toi, tu sens une boule d'angoisse se loger dans ta gorge. Aux aguets, ton regard navigue entre ce maudit miroir et l'adolescente. Tu espères sincèrement que rien de grave ne va lui retomber sous le coin de son nez. A dire vrai, tu commences à te demander si vous ne devriez pas partir immédiatement.

Ta main attrape le bras de la cliente, tu voulais lui demander de partir mais là, tu l'entends. Ce "oh fuck" qui s'échappe des lippes de Dora. Et là, tu le sais, tu le comprends, le rituel tourne mal. Tu la vois qui s'écroule sur le sol. Ton corps se fige une micro seconde, ton sang de glaçant par la même occasion. Cependant, tu te ressaisi.

— Get out, now! que tu ordonnes à la cliente.

Tu ne te laisses pas le temps de vérifier si oui ou non elle t'écoute. Tu accours immédiatement vers Dora, consciente que tu ne peux pas la laisser là. Dois-tu la déplacer tout de suite? Non... Tu ne peux pas, pas tant qu'elle est dans cet état. Alors tu te contente d'appliquer les gestes que l'on t'a appris. Tu la places en position de sécurité latérale et tu maintiens sa tête. En temps normal, tu es également censée la découvrir mais la température ambiante viens de chuter considérablement.

— Dora, can you hear me?

Non. Tu supposes que non. Un vent glacial t'arrache une multitude de frissons et la seconde suivante tu sens un choc puissant te propulser dans les airs. Tu termines ta chute en cognant le mur derrière toi et ta carcasse retombe lourdement sur le sol. L'adrénaline annihile une partie de la douleur. En tout cas, ça t'aide à prendre le dessus. Tu grognes, tu marmonnes mais tu cours jusqu'à la cuisine. En tout cas tu espères que ce soit le chemin de la cuisine et par chance ça l'est. Tu fouilles les placards à la recherche de sel, foutant un bordel monstre car tu n'as pas le temps et que tu balances absolument tout ce qui ne t'es pas utile.

— Bingo.

Le pot de sel en main, tu tournes les talons et reviens auprès de l'adolescente. Sans perdre de temps, tu dessines un cercle de sel autour de vous deux. Cela ne chassera en rien l'entité présente mais ça vous laissera un moment de répit. Le cercle de protection terminée, tu t'agenouilles près de l'adolescente.

— Dora, tu peux te lever? On doit partir.


 

C’est vraiment trop con. J’ai rencontré la femme de mes rêves. J’ai réussi à l’amener avec moi pour qu’elle puisse voir mon travail. Et pour une fois, il s’avère que la cliente avait raison, que sa baraque est réellement hantée. Et voilà que j’ai une crise. Super. Pourquoi j’ai l’impression que tout ça ne va pas DU TOUT aider ma vie amoureuse ? C’est vraiment nul, à croire que je suis maudite. Bon après c’est pas comme si j’avais la moindre chance de mettre cette déesse dans mon lit ceci dit, mais là je risque d’en avoir encore moins.

Je ne me suis évidemment jamais vue au cours de mes crises, mais on m’a dit que les convulsions pouvaient être assez impressionnantes. Je n’ai conscience ni de ce qui se passe autour de moi, ni du temps qui défile. Je ne vois que les images qui passent dans ma tête, comme si j’étais devant un écran de télévision. Un homme qui se dispute violemment avec une femme. Le même homme qui se prend… un coup de perceuse dans le crâne (pourquoi je peux pas rêver de licornes et de papillons moi ?). Puis la maison. Les portes qui se bloquent. Les meubles qui se brisent. Les murs qui s’enflamment. J’espère que nous ne sommes pas dedans, parce que je me vois mal expliquer à Savannah qu’on va mourir grillées comme des merguez.

Je sens que je reviens. Mes yeux s’ouvrent péniblement, aveuglés par la lumière. Je n’ai aucune idée du temps que j’ai passé inconsciente. La première chose que je vois est le visage de Savannah penché sur moi. J’espère bien que je ne suis pas en train de sourire bêtement. Je n’ai pas vraiment le temps de draguer, elle a l’air catastrophée. Je me redresse péniblement et laisse échapper un râle de douleur. Bordel ça fait mal ! J’ai l’impression qu’un rouleau compresseur m’est passé dessus.

« Je… je vais faire de mon mieux. Mais je crois que je vais avoir besoin d’aide. »

Je commence à me rappeler de ce que j’ai vu. On ferait bien de filer vite fait, parce que si ma vision est exacte, on sera bientôt enfermées ici. Et mes visions, jusqu’à présent, se sont toujours réalisées. Je tente de me relever péniblement, en essayant de ne pas m’appuyer de tout mon poids sur Savannah. Je maudis intérieurement ma vanité. Pourquoi je n’ai pas pris ma fichue béquille ? Puis je regarde le sol et j’avise le cercle de sel, et regarde l’objet de mes fantasmes, un brin choquée.

« C’est toi qui as fait ça ? Je savais que tu ne me disais pas tout ! » Bon ce n’est pas comme si c’était le moment. « Faut qu’on se grouille avant que… »

Mais déjà j’entends le verrou de la porte d’entrée s’enclencher. Les volets s’abaissent également brusquement.

« Merde, il est trop rapide. »

Puis je me tourne vers elle et la saisis par les épaules en la regardant droit dans les yeux.

« Il faut que tu t’en ailles. Je ne vais pas y arriver, les fenêtres de derrière sont peut-être encore ouvertes. Comme ça je fais diversion. »

Faut pas croire, je suis capable d’agir correctement quand ça me prend, et c’est pas juste parce que je meurs d’envie de lui déclarer ma flamme et de passer le restant de mes jours avec elle. Bon ok je m’emballe mais la situation s’y prête, que voulez-vous. J’avoue, j’ai moyen envie de me retrouver seule, mais mine de rien j’ai glané quelques trucs ces derniers mois. Je pourrai peut-être m’en sortir. Et puis tout est de ma faute. Et j’ai entrainé Savannah là-dedans. Même si c’est apparemment une cachottière, elle ne mérite pas ça.
 

C'est quoi le plan si Dora  ne se réveille pas à temps? Ta main caresse machinalement sa chevelure alors que tu avises la pièce du regard. Un plan. Il te faut un plan immédiatement. La porter? C'est la meilleure solution que tu ai trouvé même si tu n'es pas certaine d'y parvenir. Par chance, Dora ouvre enfin les yeux et tu soupirs de soulagement. Un soulagement éphémère puisque la partie est loin d'être terminée.

— Ne t'en fais pas. Je suis là.

Malgré l'urgence de la situation, ta voix se veux douce et apaisante. Qu'importe à quel point tu paniques intérieurement, tu ne dois en rien le lui montrer. C'est toi l'adulte, la guide et la protectrice. C'est à toi de prendre soin d'elle et non l'inverse. C'est également à toi de faire preuve de courage. Alors tu t'empresses de te redresser pour l'aider au mieux à se relever mais elle semblait vouloir se débrouiller seule. Tu n'es pas naïve, tu te doutes bien qu'elle morfle mais la gamine ne bronche pas ou en tout cas à peine.

— Je vais t'aider, que tu lui assures.

Au moins elle admet avoir besoin d'assistance. Sans hésiter tu joues le rôle de béquille humaine et te figes quand elle remarque ton cercle de sel. Sérieusement? Vous risquez d'être tuées par un esprit et elle bogue sur ça? Incrédule tu tournes tes prunelles vers elle et aussitôt elle retrouve le sens des priorités : se tirer d'ici. Sauf que ça a l'air mal barré puisque tu entends les verrous se déclencher et vois les volets s'abaisser.

— Merde.

Pas le temps de pester, Dora se met face à toi et te saisis les épaules. Surprise, tu fixes l'adolescente et fronce les sourcils à mesure que tu l'écoutes. C'est courageux de sa part mais complètement stupide. Stupide car jamais l'idée de l'abandonner ne t'a effleuré l'esprit. Et jamais tu n'abandonnera une de tes protégés sur le front. Okay... Dora n'est pas une potentielle mais en cet instant précis, tu te sens responsable de l'adolescente.

— Tu penses vraiment que je vais te laisser seule ici?

Tu n'attends pas de réponse et tu te replaces aux côtés de l'adolescente. Tu attrapes sa main pour passer son bras autour de ton cou. Tu profites de cette ouverture pour glisser un bras autour de ses hanches et la maintenir fermement contre toi.

— N'hésites pas à prendre appui sur moi.

Au moment ou tu dis ça, tu entends les meubles du salon qui s'agitent. T'as l'impression d'être dans la Belle et la Bête où les objets prennent vie. Sauf que là c'est la version creepy. Même si enfermer une femme contre son gré en espérant être aimé en retour... c'est creepy. Belle souffre telle du syndrome de Stockholm? Tu te poses toutes ses questions alors que tu aides Dora à traverser le salon pour arriver jusqu'à la porte d'entrée. Forcément, elle refuse de s'ouvrir mais tu n'as pas dit ton dernier mot. Loin de là.

— Désolée Dora, je vais devoir te lâcher un instant.

Elle peut toujours s'appuyer contre le mur. Toi en attendant, tu sors de ta veste en cuir un kit de crochetage. On est en droit de se demander pourquoi tu traînes ça avec toi... et tu serais ravie de répondre à cette question mais plus tard. Autour d'une bonne bière méritée.

— Par contre je vais avoir besoin de tes yeux et de tes oreilles.

Concentrée, tu essaies de faire abstraction du boucan ambiant et surtout tu pries pour que ça fonctionne. Ce serait con qu'une fois la porte déverrouillée l'entité la verrouille à nouveau.

— Si jamais un truc nous fonce dessus... je compte sur toi pour m'éviter d'être assommée.

Mais par chance ça ne va prendre qu'une minute. Tout au plus... sauf qu'on est bien d'accord, une minute, dans ce genre de situation c'est horriblement long et on ne sait jamais ce qui peut arriver.

 

Merde merde merde merde… On est dans un sacré pétrin. Et c’est de ma faute. Et j’ai entrainé Savannah là-dedans en plus. Je ne sais pas ce qui serait le pire: qu’on meurt ici ou que Jude apprenne ce que j’ai fait… Je n’ose même pas imaginer comment il réagirait. Il va me zigouiller, c’est certain. Enfin, si on arrive à sortir d’ici, parce que pour le moment, c’est pas gagné. Je sais qu’elle aura bien plus de chances si elle est seule. Elle a l’air plutôt athlétique (oui je l’ai beaucoup regardée, so what ?). Mais bien sûr, elle refuse. Super, je vais être responsable de la mort de la femme de mes rêves !

« Ben vaut mieux qu’il y en ait au moins une qui s’en sorte. »

Bon s’en sorte, c’est vite dit parce que les membres de ma famille auraient vite fait de la réduire en charpie. Et puis en fait, pour être totalement honnête je suis un petit peu soulagée qu’elle reste avec moi. Ne serait-ce que pour marcher, parce que putain, j’ai vraiment super mal ! En principe je devrais être au paradis en étant si proche d’elle, mais ce n’est ni le lieu ni le moment d’en profiter, je suis plutôt préoccupée par l’esprit qui nous menace. J’ai un instant la présence d’esprit de regarder autour de moi histoire de voir où est la propriétaire des lieux, mais elle a dû filer, heureusement. Je suis peut-être une arnaqueuse, mais je tiens à ce que mes clients restent en vie, quand même !

Savannah me signale qu’elle va devoir me lâcher et je m’appuie contre le mur. Je la vois s’escrimer contre la serrure en sachant qu’il y a de fortes chances pour que ce soit peine perdue. J’entends des bris de verre, des tas de sons inquiétants qui montrent que l’esprit a l’air plutôt en colère. Ce que je peux comprendre, moi aussi je le serais si quelqu’un m’avait tuée en m’enfonçant une perceuse dans la tête. C’est que ça doit faire vachement mal ! C’est alors que je vois un énorme vase dans les airs foncer droit sur nous.

« Attention ! »

Je parviens à tirer le bras de Savannah pour la forcer à se baisser juste à temps. L’énorme objet explose pile à l’endroit où se trouvaient nos tête un instant auparavant. Je soupire de soulagement et je regarde la pièce.

C’est là que je me rends compte du nombre de bougies qui sont allumées.

« Faut qu’on éteigne les bougies ! C’est pas trop le moment de rentrer dans les détails, mais la maison va cramer, et on risque de rôtir dedans. Il faut absolument qu’on trouve une sortie ! »

Pas de bol, je ne connais pas la maison. Je jure que si on s’en sort, plus jamais je ne ferai ce genre d’arnaque ! Je me contenterai de faire les poches des passants, comme tout le monde.

« Peut-être qu’il y a une porte derrière ? Ou une fenêtre sans volet qu’on peut casser ? »

Ca ne me ressemble pas, mais je sens que je commence à paniquer. Je n’ai pas particulièrement envie de mourir maintenant, surtout pas de cette façon. Je n'ai même pas eu le temps de dire à Roxy que ses bottes préférées sont dans mon armoire.
 

Tu réalises bien vite l'inutilité de ton entreprise. Tu t'escrimes contre la poignée mais ton expertise en crochetage de serrure n'apportera rien. Cette lueur d'espoir s'éteint au moment même où Dora te tire par la manche. Vivement, tu t’abaisses,  évitant de justesse la collision avec un objet non identifié. Les éclats qui s'éparpillent sur le sol sont trop nombreux pour la moindre identification et à dire vrai, tu t'en fiches un peu. Grâce à Dora vous avez évité le pire. En tant normal tu l'aurais gratifié d'un sourire mais t'es trop sur les nerfs pour ça.

— Les bougies, que tu répètes, nerveuse.

Tu dois les éteindre ou trouver une sortie? Pour toi c'est l'un ou l'autre, t'as pas le temps de faire les deux. Ton hésitation ne dure pourtant qu'un millième de secondes puisque tu cours jusqu'aux bougies pour les éteindre les unes à la suite des autres. Des questions fourmillent dans un coin de ton crâne. Tu les occultes pour le moment. Tu dois trouver une sortie. Une fenêtre sans volet... doit bien y'en avoir. Y'en a toujours dans ce genre de maison, non? Tu regrettes de ne pas avoir exploré les lieux comme tu désirais tant le faire tantôt. Au moins tu aurais pu avoir l'illumination tant attendue. Tu retournes sans perdre un instant vers la mini Austen. Tu te places à ses côtés et glisses une nouvelles fois ton bras autour d'elle. Une fenêtre sans volet... Tu gamberges. Ton cerveau carbure, il court le marathon de sa vie sauf qu'il se prend les pieds et se casse la gueule. Le vacarme autour de vous s'amplifie. Les objets se cassent, se fracassent. Les meubles se déplacent et se heurtent. Tu t'attends à voir des couteaux débouler pour vous découper un petit morceau... couteau. Couteau. Cuisine!

— La cuisine!

Que tu te sens connes! Pour y avoir été dans la cuisine, tu le sais qu'il y'a un échappatoire. Pour ta défense, tu étais bien trop inquiétée par l'état de santé de Dora pour réellement analyser les lieux. Tu traînes la carcasse de l'adolescente avec toi et ces quelques mètres semblent interminable. Certains objets vous foncent droit devant, vous manquant de peu. Cela se joue de quelques millimètres à chaque fois. Une fois dans la cuisine, t'as envie de te gifler. T'acharner sur la porte d'entrée alors que là, juste à côté de vous se trouve une magnifique et belle vieille baie vitrée coulissante. T'entends le chant des louanges dans ta tête. Sauf que ta sensation de victoire se dégonfle comme un soufflée lorsque tes narines perçoivent une odeur de brûlée.

— Putain de merde!

Tu les as éteinte pourtant, ces maudites bougies! Tu pestes alors que tu relâches à contre cœur ta compère. Le temps vous ai compté et la baie vitrée ne va pas se briser toute seule. Tu regrettes de ne pas porter d'arme à feu sur toi contrairement à d'autres personnes que tu connais très bien. En détaillant le comptoir foutu sens dessus dessous tu trouves un mortier. Tu t'en saisi et pour une fois tu apprécies la lourdeur insoupçonnée de cet outil de cuisine. Sans égard pour l'objet tu le balances avec force contre la vitre. L'impact est violent, de multiples fissures zèbrent la vitre. T'es sur le bon chemin. Alors tu réitères une seconde fois et c'est à la troisième récidives que la vitre éclate. T'en sauterais presque de joie mais encore une fois, pas le temps. La fumée commence à devenir épaisse, suffocante. Tu tousses et t'approches de Dora, des fois qu'elle ai toujours besoin d'aide pour marcher.

— Dernière ligne droite.



 

Je dois avouer que je suis en train de paniquer, et je lui sors tout ça en même temps, sachant qu’elle ne peut pas tout faire toute seule. Comme ne rien faire et attendre de me laisser sauver n’est pas mon truc, je m’élance à mon tour pour éteindre les bougies. Je retiens un cri, ça fait un mal de chien, mais je prends sur moi autant que je peux et boite pathétiquement vers les bougies les plus proches pour les éteindre. Par le plus grand des hasard, je m’aperçois que mon sac est à mes pieds. Mon sac contenant l’argent et mes anti-douleur. Je l’attrape et le place en bandoulière avant de continuer mon entreprise. Je suis horriblement lente et j’en ai parfaitement conscience. Si j’étais seule, j’aurais déjà grillé comme un poulet. Je continue d’entendre de grands fracas un peu partout, mais je n’ai même pas l’énergie de faire attention à ce qu’il se passe autour de moi.

Au moment où je sens que je vais m’effondrer je sens la présence de Savannah près de moi, qui passe son bras autour de moi pour me soutenir. Je sens que là tout de suite je pourrais l’embrasser si on ne se trouvait pas dans une situation si critique. Honnêtement j’ai surtout l’impression que mon cerveau est parti en vacances quelque part, que tout est mélangé entre la peur et la douleur. C’est alors qu’elle semble avoir une révélation. Je n’ai absolument aucune idée de ce qu’elle a vu dans la cuisine, mais je la suis en lui faisant totalement confiance. Je n’ai pas vraiment le choix de toute façon.

Et là je vois avec horreur ma vision se réaliser. Pourquoi se produisent-elles toujours ces saletés. Je m’appuie tant que je le peux sur le comptoir en laissant Savannah tenter de nous trouver une sortie. Je me sens horrible coupable de ne pas pouvoir faire quoique ce soit. Mais je ne peux pas. Je ne peux plus. Je commence à sentir mon corps au bord du précipice, comme s’il allait me lâcher à tout moment. Et ce n’est pas seulement à cause de la fumée, que je commence à respirer. Il y a… quelque chose d’autre. Que je ne saurais pas définir. Je n’ai pas particulièrement le temps de me pencher dessus ceci dit.

Savannah parvient à briser la vitre. Je commence à tousser violemment. Mes yeux piquent et pleurent, et j’ai peu à peu l’impression d’étouffer. La fumée s’épaissit au point que je distingue à peine Savannah qui s’approche de moi et vient me soutenir pour que nous puissions sortir.

« Tu devrais me laisser, je vais pas y arriver… »

Et j’ai vraiment cette impression. L’impression que mon corps ne veut plus me porter et que je vais m’écrouler. Pourtant, grâce à l’aide de la belle brune, j’arrive je ne sais comment à m’extirper de là et à me diriger vers la sortie. Je sens une douleur vive dans mon bras et comprends que j’ai dû me couper sur un bout de verre. Bizarrement, ça me réveille et me pousse à continuer. Ce n’est qu’une fois dehors, alors que l’air frais empli mes poumons que je m’écroule complètement en toussant tout ce que je peux.
 

Tu t'imaginais mourir lors d'un combat ou de vieillesse... Nah. En vrai tu te voyais d'avantages mourir d'un cancer du foie. Tu n'es pas une alcoolique mais malgré ton âge tu apprécies toujours autant t'amuser, danser et picoler au cours de soirée festive. Tu te doutes bien qu'à ce rythme là, un jour ou l'autre ton foie te lâchera. Mourir brûlée vive? C'est probablement l'une des morts qui te terrorise le plus même si dans ce cas présent, toi et Dora risquaient de mourir asphyxiées. C'est pleine d'espoir et de désespoir mêlés que tu t'acharnes sur la vitre de la cuisine. Quand enfin elle se brise, tu ressens un énorme sentiment de soulagement. Pourtant vous n'êtes pas encore sauvées. La fumée est épaisse, agressive. Elle te pique les yeux et t'encrasse les poumons. Tu tousses comme t'as rarement toussé. T'as l'impression que tu vas recracher tes organes. Vite. Tu sais que le temps vous est compté. Alors tu agrippes Dora pour vous extirper de là.

Quoi?! La laisser là, qu'elle t'annonce? Alors que vous êtes si proche de la sortie?! Tu préfères ne pas répondre car il n'y a rien à dire. De toute manière il n'y a pas le temps en palabres. Tu la soutiens comme tu le peux et c'est ensemble que vous parvenez jusqu'à la sortie. Tu aimerais pouvoir t'écrouler, là, tout de suite. Mais vous êtes encore trop proche de la maison en flamme. Alors tu vous éloignes toujours plus de cet enfer en tout cas aussi loin que te le permet Dora. Lorsque celle-ci s'écroule tu fais de même et avise la fournaise géante. Vous êtes assez loin. Et vous êtes sauve. Tu continues de tousser car tes poumons sont bien encrassés.

— Dora ça va?

Tu questionnes l'adolescente, inquiète de son état. Tu n'oublies pas qu'elle s'est écroulée avant que la maison ne prenne feu. Tu te souviens aussi qu'elle t'a mise en garde contre les bougies. Même si plusieurs questions tournoient dans ton crâne c'est bien sa santé qui te préoccupe avant toute chose. Tu tournes tes prunelles vers elle, l'observes du regarde et constates sa blessure au niveau de son bras. Tu te dresses sur tes genoux et prends son bras avec délicatesse pour examiner de plus près la plaie. Tu n'as sur toi aucune compresse, ni ciseau et y'a bien que dans les films et les séries que les gens peuvent déchirer un bout de leur fringue. Surtout qu'au final c'est la pire des choses à faire! Ne jamais utiliser un linge sale pour ce genre de plaie, c'est un coup pour que des germes s'infiltrent et que la plaie s'infecte. Contrariée tu te pinces les lèvres mais tu relativises. Ce n'est pas si profond que ça et les pompiers doivent déjà être en route.

— Les pompiers ne vont pas tarder.

Tu tentes de la rassurer mais ça n'est pas un mensonge pour autant. Il faut en moyenne entre dix à vingt minutes pour qu'une ambulance intervienne lors d'un incendie. D'autant plus qu'à cette heure-ci il n'y pas trop de risques d'embouteillage.

— Ils s'occuperont de ton bras et s'assureront que tu n'as aucune commotion suite à ta chute.

Et là tu réalises que vous n'êtes plus seule. Plus vraiment. Les gens regardent par leurs fenêtres. D'autres arrivent et s'attroupent. Au loin tu vois la cliente de Dora sortir de chez un voisin. Probablement pour appeler la police ou les ambulances. Peu t'importe. Toi et Dora êtes enfin saines et sauves.
 

En vrai je sais pas trop pourquoi je lui dis de me laisser là. Je sais pas si c’est sa présence ou la conscience d’avoir fait une énorme connerie qui m’a fait naitre un esprit héroïque. En vrai je ne veux pas mourir, et surtout pas comme ça. Je suis beaucoup trop jeune bordel ! Et je n’ai même pas embrassé Savannah, ce serait beaucoup trop bête de mourir avant ça. Heureusement, elle a la présence d’esprit de ne pas m’écouter et elle me soutient. Je suis, je me laisse faire aveuglément, et c’est le cas de le dire: je ne vois plus rien. La fumée me pique atrocement les yeux et je peux sentir des larmes couler sur mes joues. Je tousse tellement que je ne se serais pas surprise que mes poumons s’arrachent de ma poitrine. L’avantage c’est que je suis tellement occupée à tousser que la douleur de ma jambe passerait presque inaperçue. De toute façon je suis bien obligée de serrer les dents pour sortir d’ici, en un seul morceau je l’espère. Je m’accroche à Savannah autant que je le peux, en remerciant le ciel qu’elle soit là.

Je sens que nous sortons. L’air frais envahit mes poumons et me fait tousser encore plus. Je fais ce que je peux, avant enfin de m’écrouler par terre à côté d’elle. Et je tousse je tousse. Putain, mais je fumerai plus jamais de ma vie ! Savannah me demande comment je vais et je sens que ma toux commence peu à peu à se calmer. Je lève mes yeux rougis vers elle et hoche la tête.

« Ouais, je crois. Et toi? »

Elle regarde mon bras et je suis son regard. Je me rends compte que je saigne. La vache, j’ai rien senti ! Bon ça a pas l’air trop grave ceci dit. Je commence à reprendre mes esprits et à me remémorer les événements. Va falloir qu’on cause toutes les deux. C’est alors qu’elle parle de pompiers qui s’occuperaient de moi. Je la regarde, les yeux écarquillés. Elle est folle ou quoi ?

« Ah bah oui quelle bonne idée. On a qu’à leur dire que c’est pas nous et qu’un esprit vengeur a brûlé la maison, je suis sûre qu’ils nous croiront ! »

Je crois que le fait d’avoir approché si près de la mort a ramené ma tendance au sarcasme. Chassez le naturel… Mais bon comme j’ai envie qu’elle m’aime bien et qu’en plus elle m’a sauvé la vie, je vais ravaler mes paroles et m’excuser. Elle est bien la seule pour qui je ferais ça.

« Désolée. Mais vaudrait peut-être mieux qu’on décampe avant qu’on nous pose trop de questions, non? »

Je prends seulement conscience des voisins et patients trop curieux qui nous regarde. Merde. Je n’ai aucune envie qu’un membre de ma famille apprenne ce qu’il s’est passé, surtout Jude. Il me tuerait et me découperait en morceaux. Je me redresse comme je peux. Les quintes de toux commencent à s’espacer mais je me sens toujours faible. Y a pas le choix va falloir dégager, je n’ai pas du tout envie de rester ici et d’attirer davantage l’attention.
 

Ton regard halluciné se pose sur l'adolescente. Non contente d'user de sarcasme elle te balance dans la face une évidence que tu avais occulté. Bien trop inquiète de son état de santé, tu as mit de côté cet aspect de la situation. Pourtant tu ne peux te permettre ce genre d'impair surtout lorsqu'il est question de délit aussi grave qu'un incendie. Un incendie criminel aux yeux de la loi. Dora a raison.

— T'excuse pas, t'es dans le juste. Partons d'ici maintenant.

Les drames suscitent toujours une curiosité morbide. Cette fois-là n'est en rien une exception. Un simple coup d’œil aux alentours te le confirme. Voisins et passants ont les yeux rivés sur la maison en flamme ainsi que sur vos deux carcasses. Les deux survivantes d'un drame, forcément ça alimente les conversations.

La jeune Austen tente de se redresser et c'est sans y réfléchir que tu l'aides, n'hésitant pas à te proposer comme béquille humaine. Tu n'es toi même pas au meilleur de ta forme mais tu restes bien moins affaiblie qu'elle. Alors que vous vous éloignez, tu sens les regards sur vous. Certains sont interloqués de vous voir partir. D'autres hésitent à vous intimer de rester mais dans l'ensemble ils restent ce qu'ils sont depuis le début : des spectateurs passifs.

Tu guides l'adolescente quelques rues plus loin, là où tu as garé ta voiture. Enfin ta voiture... non, pas exactement. Cette chose que tu as acheté d'occasion n'est pas ta voiture. Ce n'est qu'un tas de ferrailles... Malgré toi un élan de rage te parcours pour se dissoudre presque aussitôt. Ce n'est pas le moment d'y penser. Tu abandonnes Dora côté passager pour minimiser les efforts inutiles et tu contournes l'auto pour occuper la place conducteur. Tu attends qu'elle s'installe également pour mettre le contact et prendre la parole.

— Avec tout ça j'ai bien envie d'un mojito. Pas toi?

L'idée d'appeler Judicaël et Roxane pour les informer de la situation t'a effleuré l'esprit. Néanmoins t'as un doute. Les jumeaux n'ont pas besoin d'être informés de la situation, pas maintenant en tout cas. Dora a bien failli y rester. Ce qu'elle fait peut s'avérer dangereux et avant d'avertir qui que ce soit, tu veux lui laisser la chance de s'expliquer. Une conversation entre vous deux s'impose, t'en a bien conscience. Alors autant rendre cet instant agréable avec un peu d'alcool et une tarte au citron, si possible.  

J’avoue, je suis assez surprise qu’elle ne m’engueule pas, et même qu’elle admette que j’ai raison. C’est vraiment rare en fait, pour une fois que je ne me fais pas traiter comme une gamine qui dit n’importe quoi. Je ne trouve rien à répondre, je me lève comme je peux pour la suivre. Heureusement elle me donne un coup de main, je suis dans un sale étant. J’ai l’impression que mon corps est passé sous un rouleau compresseur. J’espère que personne autour ne va décider qu’on a l’air suspectes et nous dénoncer à la police. Je n’ose même pas imaginer la tête de Jude si ça arrivait.

Je la suis aveuglément jusqu’à une voiture qui ressemble plutôt à un tas de ferrailles, mais je me garde de tout commentaire. En vrai avec elle je monterais dans n’importe quel véhicule moisi. En plus elle parle de mojito, il n’en faut pas plus pour faire chanter tout mon cerveau.

« Avec plaisir, j’en ai bien besoin ! »

Je me rends compte que je tiens toujours mon sac serré contre moi. J’en sors une boîte de pilules et j’en avale quelques unes. Maintenant que je suis assise et que l’adrénaline redescend, je me remets à me poser des questions sur elle. Elle est définitivement bizarre et je suis prête à parier qu’elle n’a pas connu ma soeur sur un plateau de tournage. Je croise les bras et la regarde d’un air suspicieux.

« Dis donc, tu en connais un rayon sur les revenants… »

Il va être temps de jouer cartes sur table, et j’aimerais bien savoir à qui j’ai affaire exactement. En plus elle a bien dû remarquer que je ne suis pas non plus tout à fait ordinaire si elle n’est pas complètement stupide, et je ne pense pas qu’elle le soit. J’espère seulement qu’elle ne va rien balancer à Roxy, parce que là j’aurai de sacrés ennuis, c’est certain. Jude m’enfermera probablement dans ma chambre jusqu’à la fin des temps. Je reconnais que ce que je faisais n’était pas très malin, mais il y avait quand même vraiment peu de chances que je tombe sur un vrai esprit.

« Bon, on va où ? »

Il faut quand même se concentrer sur le positif: je vais avoir la possibilité de prendre un verre avec la femme de mes rêves. Comme quoi il y a un bon côté dans tout.