« Dans la gueule du loup » ft. Chester

T’as quand même attendu, on peut te féliciter pour ça.
T’as gardé la face une grosse semaine. Faut dire que t’as été pas mal occuper, à rencontrer des nanas cheloues et des types pas nets. Ton quotidien, quoi. T’as même fait un tour à l’hosto parce qu’un fan hardcore t’a planté pour lécher ses doigts plein de sang. Franchement, au milieu de tout ça, t’avais oublié ta nouvelle lubie.

Mais pendant que tu divaguais à cause de la morphine, son image t’es revenue comme un coup de poing en pleine gueule. T’as geins, enfant jusqu’au bout des ongles. Tu t’es souvenu de sa façon de frapper sa nana, de s’approcher de toi, de te sourire et de jouer. T’as de nouveau eu une trique d’enfer et surtout, envie de plus. Ouais… T’as envie de plus.

Et en cherchant sur un plan de la ville où se trouve la rue du jardin des plantes, tu te rends compte que tu ne connais même pas son prénom. T’essaies de lui en trouver un. Il a une tête de Clint. Ou de… Carter, peut-être. Non, pas assez baraqué. Une tête de Flint ? Ou alors, il a un prénom minable, bien frenchie bon chic bon genre. Ouais, tu commences à l’envisager quand tu vois la gueule du quartier où tu débarques. Franchement, c’est cosu, y’a pas à dire. Tu t’arrêtes devant une porte, ça fait vieille France, avec le numéro deux en bronze bien brillant là et une sonnette qui fonctionne. Tu zieutes la maison de maître, sûrement reconvertie en immeubles à appartement sauf que y’a que deux sonnettes. Bizarre. T’en essaies une au hasard, rien ne se passe. Puis une autre. Puis tu appuies sur les deux jusqu’à ce que quelque chose arrive. Quoi ? T’en sais rien. Mais ça te gonfle. Tu te souviens bien qu’il t’a dit qu’il y avait toujours quelqu’un.

Y’a aussi l’option possible du mensonge. Mais tu ne veux même pas l’envisager.
Enfin, une nana se pointe. Pas une, la nana. La sienne. Elle te regarde d’un vilain air et tu hésites sur l’attitude à adopter. C’est sa propriété, t’as pas à lui parler de travers tant que t’en sais pas plus. D’un autre côté, t’es décidé à la dégager pour prendre sa place, persuadé que tu vaux mieux qu’elle.

— On m’a invité, tu affirmes avec aplomb.

T’aurais bien aimé dire qui d’autant qu’elle ne te remet pas. Normal. Tu n’as pas ton costume de scène, aujourd’hui. T’as enfilé un vieux jean slim élimé, un t-shirt sous un pull trop grand à mailles larges et des mitaines en laine parce que ça pèle l’air de rien, dehors. T’as pas de sang sur les dents, tes cheveux ressemblent même vaguement à quelque chose. T’as pris une douche chez le bassiste, tu squattes son appartement depuis deux ou trois jours. D’ailleurs, le pull lui appartient. T’en avais pas et il t’a un peu pris en pitié.

Planté devant la nana, tu la regardes dans les yeux. Tu la défies en silence, t’attends qu’elle se vire. Qu’elle l’appelle. Pour enfin entendre son prénom et le coller sur tes fantasmes.

Tu te demandes qui est Lena. Pendant une seconde, tu te persuades que ce connard t’as filé une fausse adresse. Qu’il s’est foutu de toi, qu’il t’a humilié une dernière fois. Puis elle gueule un mot, un prénom, tu n’es pas bien sûr : Chest ! Chest ! Peut-être un diminutif, peut-être pas. Tu le répètes dans ta tête, sur tous les tons. Chest. Chest. Chest. Comme une mélodie barbare.

Puis il apparait et tu te rassures. Le monde retrouve ses couleurs. Il te sourit comme un soleil et tu lui réponds comme s’il n’existait plus que lui sur terre. Envolée, la grognasse qui te regarde de travers. Y’a toi, Célestin, et y’a Chest. Vos prénoms commencent par la même lettre, c’est forcément un signe du destin. Tu t’emballes, malheureux.

— Bah, tu m’as invité.

C’est ce que tu lui réponds, flegmatique, quand il t’avoue qu’il ne pensait pas que tu viendrais. Tu essaies de te donner un genre mais il voit certainement clair dans ton jeu. Tu es bon comédien sur scène. Bon pour transmettre les passions. Les extases. Hélas pour toi, tu manques de subtilité. T’es un livre ouvert et à la bonne page, en plus.

Tu le suis dans les escaliers et tu pénètres dans un appartement rangé, propre. La surprise se lit sur ton visage. Tu l’imaginais chaotique mais il te plait encore plus. Cette façade carrée, tu aspires soudain à la détruire. À voir le désordre dans son corps, dans son âme. Il te désigne un siège où t’assoir, un nouveau canapé. Tu te demandes si toutes vos rencontres tourneront autour de ce meuble.

— Alors, c’est chez toi ? T’es un bourge, en fait.

Tu ne poses pas la question. Tu imagines, simplement. L’appartement ne transpire pas le luxe mais entre le quartier et l’ordre, tu commences à imaginer qu’il y a papa ou maman quelque part derrière ça. Qu’il t’a menti, peut-être. Que tu t’es trompé. Impensable ! Pourtant… Pourtant…. T’es sur tes gardes. Tu ne veux pas perdre ton temps avec un imposteur. T’as besoin d’un digne, besoin qu’il te touche pour te rappeler.

— C’est qui Lena ?

Pas sa meuf, du côté. Roi de la déduction. Tu te demandes avec combien de gens il crèche, à quoi ils ressemblent. T’attends de juger sa vie pour décider si elle est à ta hauteur.

Dix-huit ? Ton sourcil s’arque, t’as du mal à y croire. Parce que ok, c’est grand. Mais pour dix-huit personnes ? Pas tellement. Sauf s’il y a des endroits que tu ne vois pas. Puis c’est propre aussi. Putain de propre. Tu soupçonnes qu’il se fiche de toi. Et la certitude se raffermit quand tu le détailles encore. Ses fringues sont un peu pourris mais les tiens valent pas mieux. Pire : ils sont même pas à toi. Il se colore les cheveux, tu vois ses racines. Ils sont assez long pour qu’il les attache. Ça lui donne un petit genre. Tu humectes ta lèvre inférieure. T’as des pulsions en toi, que tu contrôles uniquement en feignant le calme, le désintérêt poli. En vérité, t’aspires juste à le titiller pour voir… Ouais, pour voir ce qu’il a vraiment dans le ventre.
Pour voir si ses lèvres goûtent forcément le sperme ou au contraire, le dentifrice frais.

Et lui, ah, ce con, il te tend une perche en or.

— Pourquoi tu préfères pas ?

Tu provoques. T’as cette étincelle dans le regard. Celle qui murmure les insanités, les promesses sur fond d’orgasmes et de foutre, d’un peu de sang et de beaucoup d’irrespect. Tu te demandes si sa sœur lui ressemble et tu fantasmes déjà d’en avoir deux pour toi. Tu imagines à quel point ça le foutra en rogne et ça y est, tu bandes. Vu comment t’es fringué, il a qu’à baisser les yeux pour le voir.

— J’sais me tenir, tu sais.

Et tu ris. Non, tu glousses. Un gloussement très bas, sans détacher tes prunelles des siennes. Tu mens. Il le sait. T’as envie de te rapprocher mais tu t’obliges à ne pas bouger d’un millimètre. Cette retenue est physiquement douloureuse. Tes muscles tendus, chair de poule, tu le bouffes du regard et tu te demandes si sa nana va taper un scandale en vous surprenant baiser sur ce canapé. Toi, t’y es déjà. T’aimes les dramas. Celui-ci sera terriblement ordinaire mais faut bien commencer quelque part.

T’as envie de lui balancer qu’il peut pas trop parler question état. Tu te rappelles bien de ce jour où tu l’as rencontré, vraiment rencontré. Pas quand il tapait sur sa nana mais quand il t’a roulé rejoint dans le canapé. Tu te souviens de son goût, t’imagines facilement à quelles activités dépravées il venait de se livrer. Peut-être qu’il la baise, sa sœur. Pour ce que t’en sais. Dans ta tête, le film se déroule. Il y a lui en homme et lui en femme, le même visage mais avec des seins et un trou entre les cuisses. Incongru. Tu commences à rigoler et t’oublies de te vexer ou même d’avoir honte. Ça fait longtemps que tu ne feins plus le respect ou la bonne tenue. Oui, tu bandes. Et t’en es fier. T’as limite envie de lui montrer ta verge tendue, sans les fringues, et de lui demander s’il a pas envie de la sucer. Juste pour voir sa tronche. Mais c’est pas le moment.

— J’fais que bander. Si ça te dérange, faut être moins bandant, tu rétorques.

Et tu acceptes la bière. Tu te doutes que c’est une merde en cannette, même pas dans une bouteille en verre mais tu donneras le change même si tu ne boiras pas beaucoup. T’as jamais trop aimé le goût de l’alcool mais boire c’est tendance, comme la drogue. Alors tu t’exécutes et tu vomis quand tu le dois.

Il te regarde et tu frissonnes quand il évoque la possibilité d’être un serial killer. Ta queue tressaute, tu passes ta langue avide sur tes lèvres.

— Et alors ?

Tu demandes, tu provoques, avec tout le flegme qu’il te reste.

— J’espère bien que t’es un gros taré dégueulasse.

Tu le déclares comme si c’était le fait le plus normal et cohérent du monde. Pour te donner contenance, t’avales même une gorgée de cette bière et tu te rends compte que, malheureusement, tu avais raison à son sujet. Celui de la bière. Et peut-être celui de ton hôte aussi. Tu hésites encore, pas bien sûr. Il te teste et tu te dis, après coup, que tu devrais être un peu plus subtil. Sauf que ça ne t’a jamais réussi. Autant, tu manipules avec brio les marionnettes dont tu te sers dans ton petit théâtre autant lui… Tu ne le veux pas dans tes fils. Tu veux que ce soit lui qui t’obliges à t’agiter. Qu’il te fasse souffrir. Il doit devenir ta quintessence.

Tu tiens toujours ta cannette dans la main droite quand tu penches ton buste vers lui. Vos visages proches, tu sens son souffle, son haleine identique à la tienne puisque vous buvez la même chose. Ça t’enivre, t’as l’impression que vous ne faites qu’un.

— Je te vois. Ce que t’es vraiment au fond de toi. Ceux comme moi distinguent les auras de ceux comme toi. J’aime ce que je vois. Tu peux gagner le droit de me tuer, me découper en morceau, me jeter où ça te plaira. Ouais. Si ce que je vois ne mens pas, tu pourras faire ça.

Tu murmures, comme un secret. T’as envie de l’embrasser. À la place, tu lui lèches la joue puis frottes tes cheveux contre ta propre salive, contre sa peau. Chat dégénéré.